Le mois de juillet a connu une série de catastrophes ferroviaires sans précédent, avec cinq accidents majeurs : déraillements de Lac-Mégantic au Canada (47 morts), de Brétigny (7 morts), de Saint-Jacques-de-Compostelle (79 morts), du Pakistan (16 morts), et collision entre deux trains en Suisse romande (1 mort). Ces accidents dramatiques nous ramènent à une réalité à laquelle nous ne voulons pas croire : le risque zéro n’existe pas, ni dans la vie de tous les jours ni dans les transports, quels qu’ils soient. Dans notre monde moderne, la prise de risque doit être réduite à son minimum pour rendre le niveau de danger acceptable, mais cette perception du risque diffère en fonction de la place que les médias offrent à chaque type d’événement. Si l’on compare le traitement médiatique réservé aux transports aérien et ferroviaire, le constat est sans appel.
1) Plus un événement est rare, plus on en parle
Plus un événement est rare, plus les médias le soulignent et plus on le retient. Une vis manque sur un avion ? Cela fait 70 articles dans les journaux. Un avion roule dans le gazon à Roissy ? Cela devient une sortie de piste, et l’on imagine les hurlements affolés et l’évacuation de l’appareil en flammes… De simples incidents donc, mais des incidents que l’on perçoit comme des quasi-catastrophes. Il est bien loin le temps où un Boeing 747 de British Airways pouvait perdre un de ses quatre moteurs au décollage et réaliser la traversée de l’Atlantique avec les trois restants sans que cela n’émeuve qui que ce soit… Une procédure acceptée en 2005, mais impensable aujourd’hui ! Le transport ferroviaire bénéficie du phénomène inverse : les incidents sont tellement nombreux que l’on n’en parle pas, sauf pour les événements spectaculaires touchant les pays occidentaux. On dénombre néanmoins chaque année 2 400 incidents significatifs dans les trains au sein de l’Union Européenne, dont 90 déraillements et 80 collisions, provoquant plus d’un millier de morts, principalement aux passages à niveaux et parmi des personnes présentes sur les voies, mais également parmi les passagers. Mais puisque personne ne parle de ces « petits » incidents, on a l’impression qu’il n’y en a pas et l’on est encore plus étonné lorsqu’un accident survient, surtout lorsque la loi des séries y met du sien. La focalisation actuelle sur le rail va amener les médias à répertorier chaque petit incident autrefois ignoré, renforçant le sentiment d’insécurité des passagers, jusqu’à ce que toute cette attention retombe et que les accidents soient oubliés. Il en va de même pour les accidents de la route : trop nombreux pour être évoqués.
2) Les peurs sont exploitées pour vendre du papier
La vie est un risque. Nous en sommes tous plus ou moins conscients. Mais chez certains cela prend des proportions proches de la phobie… La peur de l’avion touche plus du quart de la population et il est alors bien tentant pour la presse de s’engouffrer dans cette brèche et de faire du sensationnel : ça fait vendre. C’est ainsi qu’on retrouve en vitrine des libraires un bon nombre d’ouvrages émanant d’auteurs peu scrupuleux, fortement intéressés au rendement et qui font leurs choux gras des soi-disant dérives de l’industrie aéronautique… Aucun livre ou film catastrophe, par contre, pour dénoncer la très méchante industrie ferroviaire qui conspire dans notre dos et nous met en danger sur notre trajet quotidien. Deux raisons à cela : le risque est quasi nul, tout comme dans l’aviation, mais personne n’est phobique du train. Enfin pas encore.
3) Des informations spectaculaires, mais orientées
Soyons clairs, le risque est quasi-nul mais des incidents demeurent, même s’ils sont rares. C’est là qu’agissent des « spécialistes » qui tentent de jouer sur les peurs pour obtenir ou conserver un avantage. Lorsque l’on remplace un système par une nouvelle version plus fiable, les visites d’entretien peuvent être espacées. Et bien les représentants du personnel vont hurler à la prise de risque pour les passagers et obtenir le maintien d’emplois. On demande aux pilotes d’Air France ou aux conducteurs de la SNCF d’occuper leur poste aussi longtemps que leurs homologues allemands ? Horreur ! Il en va de la vie de nos passagers ! Un petit souci lors d’une visite de maintenance ? C’est bien pire si la visite a été externalisée ! Des personnes sensées faire référence dans le domaine agitent donc le chiffon rouge de la sécurité à leur profit, entretenant une impression de danger.
On ne le répétera jamais assez : la sécurité n’a jamais été aussi optimale que ces dernières années, avec une réduction du nombre des incidents sans précédent, autant dans le transport ferroviaire que dans l’aérien. Alors le constat est là, et il est accablant : oui, la vie est faite de risques, et heureusement ils sont réduits. Le transport aérien reste le moyen de transport le plus sûr (aucun décès en Europe depuis 4 ans malgré 3 000 000 000 de personnes transportées sur des avions de lignes), suivi de près par le train. Depuis le début de l’année, la France a néanmoins connu plus de 1 500 morts sur la route et surtout 11 000 morts d’accidents de la vie courante.
La conclusion est simple : si vous voulez éviter de prendre des risques, prenez l’avion ou le train, mais ne restez surtout pas chez vous !
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Article également publié sur http://www.atlantico.fr