Les journaux ont souvent une facheuse tendance à rendre un événement anodin le plus dramatique possible. Le but est évidemment simple : attirer le lecteur. Cette vérité, que chacun peut constater dans son domaine de compétence, est encore renforcée pour les avions de transports. Vous voulez quelques exemples et le décryptage qui va avec ?
Juin 2013, le même jour, deux accidents ont lieu en Amérique du Nord :
– l’accident de train du Lac Mégantic au Canada, faisant plus de 50 morts,
– l’accident d’un avion d’Asiana sur l’aéroport de San Francisco, faisant 2 morts directs.
Les chaines d’information en continue vont traiter ces informations dans cet ordre : 1) le crash de San Francisco avec des experts invités et des images diffusées en boucle, 2) politique et nouvelles françaises, 3) accident de train du Canada… C’est donc officiel : 2 morts en avion sont plus graves que 50 en train.
Autre exemple, un joli article du journal la Provence, au titre à peine exagéré : « Will.i.Am a frôlé la mort en avion« . Qu’est-il dont arrivé à ce rapeur américain ? Et bien l’avion a simplement fait un arrêt décollage, c’est-à-dire qu’il a accéléré, que les pilotes ont constaté que tous les paramètres n’étaient pas dans le vert et qu’ils ont alors simplement freiné… Pour un pilote de ligne, ce n’est pas plus grave que de recommencer un créneau en voiture, et le but est justement de pouvoir assurer une sécurité à 100% ! Cela arrive de temps en temps et ne présente aucun risque pour l’avion ni pour les passagers, puisqu’il s’agit juste d’un freinage à une vitesse inférieure à la vitesse de décollage ! Néanmoins, une star tweet qu’elle a frôlé la mort, et on en fait des articles…
Un autre exemple ? Nice-Matin fait un article spécial « Peur bleue pour plusieurs passagers d’un vol Paris Orly – Nice« . Que s’est-il passé ? Et bien comme cela arrive des dizaines de fois tous les jours, un avion en approche avant son atterrissage est reparti, c’est ce qu’on appelle une remise de gaz. Comme tous les voyageurs réguliers, j’en ai déja subi plusieurs et pour de multiples raisons : avion ayant atterri avant nous trop lent pour dégager la piste, visibilité trop faible due au brouillard… Mais encore une fois, c’est un choix qui est réalisé par l’équipage et qui a pour but de réduire le risque au plus proche de zéro. La remise de gaz n’est absolument pas risquée, elle est justement faite pour éviter de prendre le moindre risque ! En tant que passager par contre, cela peut être perturbant : on s’attend à un atterrissage mais l’avion repart finalement.
Et les exemples sont ainsi légion : un avion qui roule par erreur dans le gazon à basse vitesse à Roissy en mars 2013 devient une « Sortie de Piste » pour le Figaro, un avion au sol, sans passager et tiré par un tracteur heurte un avion militaire alors à l’arrêt sur l’aéroport de Castres devient une « Collision entre deux avions »… Et je parle en connaissance de cause : un magazine a été jusqu’à modifier le titre d’un article qu’il m’avait commandé pour le rendre plus accocheur, et certains montages vidéos me font dire des choses presque opposées à ma pensée !
Cette situation n’est même pas forcément uniquement due aux médias. Ceux-ci invitent des « experts » qui ont parfois de grosses lacunes et qui veulent avant tout vendre un livre anxiogène ou proposer un service de communication de crise.
Les médias le savent : un article anxiogène va toucher directement les personnes qui ont peur de l’avion, soit plus de 20% de la population. Les non-événements deviennent donc des articles et sont présentés comme dramatiques même s’il n’en est rien. Une étude avait même montré qu’un accident d’avion a 150 à 200 fois plus de chances de se retrouver en couverture des médias qu’un autre accident qui aurait fait autant de victimes. Personne ne s’intéresse d’ailleurs aux 2 068 « incidents significatifs » ayant touché le rail européen en 2012… Pourtant avec 196 collisions ou déraillements, il y aurait de quoi dire ! Vous aurez donc tous les détails de l’avion qui a oublié un bouchon sans importance à l’autre bout de la planète, mais rien sur les événements fréquents et qui font réellement des morts… Au final, les médias entretiennent cette peur en vous inculquant des idées fausses, qui sont d’autant mieux retenues qu’elles sont rares. Il est évidemment impossible de totalement occulter les médias, mais vous pouvez néanmoins éviter les forums et les groupes Facebook qui ne distilent que ces informations tronquées… Et réalisez que les informations présentées sont très souvent orientées !
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Mise à jour mai 2014 :
Le vol MH370 est passé par là. Avec lui, moultes nouveaux exemples des exagérations des médias, tantot volontaires, tantot subies. Je ne parlerai que des cas que j’ai personnellement vécu lors de mes interventions sur des plateaux télé et radio, ce qui m’a donné l’occasion de discuter hors antenne avec certains intervenants. Une personne présentée comme pilote de ligne n’avait par exemple pas touché les commandes d’un avion depuis près de 30 ans. Un expert en sécurité aérienne ignorait la présence de certains équipements sur le B777…
Mais le pire a été les interview vidéos. Pour une chaîne d’information continue, la journaliste savait déja ce qu’elle voulait entendre : l’accident était du à une cause technique imputable à Boeing, ce qui est faux (voir mon intervention sur le sujet sur LCI). Au bout de 30 minutes à me reposer les mêmes questions sous d’autres angles pour obtenir une réponse différente, le tournage se termine. Résultat ? Et bien ils ont été interviewer un « pilote » qui a affirmé qu’il s’agissait peut-être d’un incendie… Un tournage similaire pour un grand journal a conduit à un résultat différent : un montage qui me fait presque dire le contraire de ma pensée…
Bref, plus que jamais, il y a des médias sérieux qui font leur travail d’information au mieux, mais il faut surtout réussir à ne pas prendre pour argent comptant tout ce que vous pourrez voire, lire et entendre. Et pour les décryptages, pour pourrez toujours compter sur ce blog 🙂
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