Francetv info a Interviewé la psychologue du Centre de Traitement de la Peur de l’Avion, le Dr Negovanska, « pour nous éclairer sur ces angoisses mêlées de fascination que provoquent ces drames, comme la disparition du Boeing de Malaysia Airlines. »
Francetv info : Pourquoi les grandes catastrophes, comme le crash du vol MH370, nous font autant peur ?
Velina Negovanska : Parce qu’il s’agit de l’un des rares domaines qui reste encore plein de mystère. L’aviation n’est pas si ancienne que cela. Tout le monde ne maîtrise pas les aspects techniques et physiques de ce mode de transport. Et dès que cela concerne le ciel, l’imagination se met en marche.
Autre aspect : notre corps lui-même n’est pas encore habitué à cette sensation « nouvelle » de voler. Il faut des millions d’années pour que notre organisme s’adapte physiologiquement à un changement de milieu. Aujourd’hui, on le constate, la phobie de l’avion touche entre 20 et 30% de la population, alors que pour d’autres peurs, la proportion tourne autour de 2 à 5%.
Ces grandes catastrophes sont rares, et concernent globalement peu de personnes. Alors pourquoi se focalise-t-on autant dessus ?
Les informations de ce type sont très vite retenues par notre cerveau, bien plus vite que d’autres. Tout événement très rare va être gardé en mémoire de manière beaucoup plus forte que ce qui peut se passer au quotidien. Le grand nombre des victimes [239 dans le cas du vol MH370] et l’effet de rareté y participent. Les gens vont facilement se dire : « Ça peut m’arriver », alors que c’est une situation exceptionnelle. Ce sont des erreurs de raisonnement qui se mettent en place. Par exemple, quand on évoque le crash du vol Rio-Paris [en juin 2009], les gens ont l’impression que cela s’est produit hier et que c’est fréquent, alors que ce n’est pas le cas.
Concrètement, que se passe-t-il dans notre cerveau ? Comment se développe cette peur ?
C’est observé dans toutes les recherches de psychologie cognitive. On se souvient tous de l’endroit où l’on se trouvait le 11 septembre 2001, et ce que l’on faisait lors de l’attaque du World Trade Center. Pourquoi ? Parce que dans notre cerveau, la structure de la mémoire est très proche de celle qui régit les émotions.
Pour comprendre, il faut se représenter notre cerveau divisé en trois : vous avez le cerveau instinctif, qui intervient lorsque l’on se brûle par exemple, celui des émotions, et le cortex ou néocortex qui gère le raisonnement. Concrètement, face à une période d’anxiété, la partie du cerveau qui gère les émotions l’emporte sur le cortex et empêche tout raisonnement logique : c’est pour cela que l’on n’est jamais rassuré par les statistiques de la sécurité aérienne, aussi valables soient-elles ! Cette proximité entre les émotions et la peur n’est pas anodine. Dès que l’on a peur, on a besoin de se rappeler pourquoi cette situation est dangereuse.
Notre cerveau a, pendant des siècles, appris qu' »être en hauteur et tomber vers le bas, c’est dangereux ». On voit aujourd’hui à quel point c’est encore présent dans notre esprit. Le problème, c’est qu’il suffit de mémoriser qu’une situation est dangereuse pour que très facilement des peurs surgissent.
Le crash du MH370 l’a encore montré : les gens cherchent eux-mêmes les réponses, veulent comprendre, participer à la recherche de la vérité. Pourquoi autant d’engouement ?
Aujourd’hui, nos esprits ne sont plus exclusivement tournés vers des préoccupations basiques comme se nourrir, se déplacer… On se focalise beaucoup plus sur l’anticipation du danger pour pouvoir le contrôler. Ainsi, lorsque l’on est confronté à une situation inconnue, que l’on ne maîtrise pas, on va instinctivement se plonger dans la recherche d’explications. Il faut trouver la réponse pour analyser la situation : « Faut-il avoir peur ou pas ? Dois-je me protéger ou non ? » Au final, on finit par se faire peur. Mais en même temps, d’une certaine manière, on se prépare au danger.
Ne risque-t-on pas de rajouter de la peur à de la peur ?
C’est certain, mais ce n’est pas un système logique. Par exemple, les phobiques de l’avion vont chercher des articles sur le sujet pour se rassurer, mais les informations qu’ils vont trouver vont alimenter et renforcer leur peur. Ils ne peuvent alors pas s’arrêter.
L’impact des médias, des images, mais aussi de la littérature et du cinéma, participe à ce phénomène…
C’est vrai que, dans le cinéma surtout mais aussi dans les livres, on trouve des scénarios tous plus catastrophiques les uns que les autres. Interrogés, les pilotes répètent que les situations décrites ne sont pas possibles. Mais inconsciemment, on enregistre dans notre mémoire de fausses impressions.
Pour ne rien arranger, les images des crashs, et des débris notamment, ont un poids immense sur notre mémoire. Elles sont beaucoup mieux retenues. Ainsi, dans certains programmes télévisés par exemple, on va vous présenter un scénario en images, qui va être démenti dans les commentaires, en une ou deux phrases seulement à la fin. Malheureusement, notre cerveau ne va retenir que les images et ce qu’elles signifient du point de vue émotionnel. Cela renforce encore un peu plus notre peur.
Quels traumatismes ces drames peuvent-ils engendrer ?
Certaines personnes vont simplement s’intéresser à l’information, sans se focaliser dessus. Puis, elles vont se poser des questions en montant dans l’avion : « Est-ce que le moteur de l’avion fonctionne correctement ? Est-ce une simple turbulence ? » La peur va commencer à s’installer progressivement. Pour d’autres, la peur panique est immédiate. Ils se disent alors : « Cela a aurait pu être moi à la place des passagers ».
Il a également été constaté, lors d’un travail de thèse, qu’il n’est pas nécessaire d’être proche de l’événement pour être touché émotionnellement. Ainsi, on a découvert qu’après le 11-Septembre, des gens travaillant dans des tours dans le quartier de la Défense pouvaient présenter les symptômes d’un stress post-traumatique, alors qu’ils n’ont pas été témoins directs de l’événement.
Constatez-vous davantage de cas de peur panique de l’avion après un crash ?
Oui, on le voit directement sur notre site, où nous proposons un test qui permet d’évaluer la peur en avion et son intensité. Il est beaucoup plus consulté que d’habitude. Pour autant, il n’est pas nécessaire qu’un crash se produise. Les jours anniversaires des catastrophes, ou lorsque rebondit une enquête, l’angoisse peut alors surgir.
Comment soignez-vous ce type d’anxiété ?
Avec l’expérience, je me suis rendu compte que pour les gérer, la psychologue que je suis n’a pas toutes les réponses. Il y a évidemment un travail psychologique sur la gestion de la peur en elle-même à mener. Mais face à la multitude de questions techniques que se posent les phobiques, des réponses de techniciens sont aussi nécessaires. C’est pour cette raison que nous avons monté un centre de traitement de la peur de l’avion en s’associant avec des pilotes et avec un simulateur de vol. Cette prise en charge permet aux gens d’apprendre à gérer leur stress en vol, de confronter leurs peurs, de les matérialiser et d’y répondre en donnant une approche nouvelle de la situation du voyage en avion.
Interview publiée sur le site de FranceTVinfo, disponible en cliquant ici.