La maintenance représente une dépense de 50 milliards de dollars chaque année pour les compagnie aérienne, soit environ 10% des coûts d’exploitation de cette industrie… Il est donc logique que des efforts soit réalisés pour en réduire le coût, et l’une des options est l’utilisation de la sous-traitance, c’est-à-dire de faire réaliser ces opérations par des sociétés externes et spécialisées plutôt qu’en interne. Une question cruciale revient alors presque à chaque stage contre la peur de l’avion : la maintenance est-elle moins bien faite lorsqu’elle n’est pas directement réalisée par la compagnie aérienne ? Cette pratique, aussi appelée externalisation, est presque devenue une norme en aéronautique, puisqu’environ la moitié de la maintenance est aujourd’hui sous-traitée. Elle reste néanmoins la cible de nombreuses critiques pas toujours justifiées.
Il faut tout d’abord comprendre que certains ont un réel intérêt à freiner cette évolution, la sous-traitance provoquant des destructions de postes au sein de l’organisation. Le moindre écart est donc souligné et mis en lumière avec un objectif : soutenir la thèse que la sous-traitance est dangereuse, la réduire et éviter des réductions de postes dans les compagnies aériennes. En France, tous les écarts sont ainsi identifiés et soulignés. En 2013, un avion Air France qui revenait de sa grande visite réalisée en Chine a par exemple dû se poser en raison d’un problèmes d’évacuation des toilettes et de deux radios qui connaissaient des ratés. Dans un autre cas, c’est le type de peinture utilisé n’était pas aux normes. Mais tous les travaux de maintenance réalisés hors de la compagnie sont revérifiées en interne, seuls des problèmes minimes sont donc possibles et aucune dérive n’a été signalée récemment.
Si l’on prend un peu de recul, on se rend d’ailleurs compte que la maintenance n’est plus une cause directe d’accident en dehors des pays de la liste noire. Depuis 1979, seulement 12 accidents et incidents majeurs ont été provoqués par une mauvaise maintenance, et aucun depuis plus de 15 ans (voir liste des accidents en bas de page). Un rapport du congrès américain (voir graphique ci-dessous) fait d’ailleurs apparaître l’évolution parallèle de la sous-traitance de la maintenance et du taux de panne lié à la maintenance avec ce constat : entre 1997 et 2008, la part de la sous-traitance est passée de 25 à 39% de la charge de travail alors que le taux d’incidents liés à la maintenance a été divisé par 5 pour atteindre 0,01 accident pour 100.000 décollages (cet accident ne provoquant par ailleurs aucun mort).
Plus on externalise, moins il y aurait donc de problèmes de maintenance… En dehors de l’évidente amélioration des process et de la fiabilité de plus en plus importante des avions, on peut se demander ce qui explique ces bons résultats. La sous-traitant regroupe en réalité plusieurs réalités :
1) Certaines actions de maintenance sont rares, et donc peu nécessaires au sein d’une compagnie aérienne. Prenons l’exemple des spécialistes des moteurs pour lesquels certaines opérations sont directement réalisées par le fabriquant lui-même. Au final, 100% de les travaux sur les moteurs réalisée pour les compagnies américaines est aujourd’hui externalisée.
2) Les compagnies aériennes ne peuvent avoir un réseau exhaustif de spécialistes dans chacune de leurs destinations. A titre d’exemple, Air France ne pourrait pas entretenir une équipe technique dédiée dans chacune de ses centaines de destinations hors de France, et la maintenance est alors réalisée par les compagnies aériennes faisant partie de son alliance (Sky Team), ou simplement par des entreprises très spécialisées qui ne font que cela. Air France est par ailleurs très réputée puisqu’elle fait partie des 10 premières entreprises de maintenance internationales, tout comme Lufthansa Technik. Cette activité est d’ailleurs la seule avec le catering à rapporter de l’argent au groupe Air France-KLM, alors que le transport passager et le cargo son déficitaires.
3) Certains pays à bas coût permettent de réaliser ces opérations à moindre frais, et Air France réalise ainsi une partie des révisions de ses A320 au Maroc, avec des exigences de respect des normes équivalentes à ce que l’on trouve en France.
Dans tous les cas, la sous-traitant permet à une compagnie de faire des économies en ne payant un service que quand elle s’en sert vraiment, ce qui lui évite d’embaucher puis former des employés sans savoir si leur spécialité existera encore dans 20 ans… A l’inverse, le fabricant d’un système (génération de l’air, toboggans d’évacuation, radar météo…) pourront toujours proposer un service de maintenance avec des spécialistes de haut niveau, pour un coût limité à une utilisation bien définie.
Plusieurs études approfondies réalisées par les associations compagnies aériennes* ou des recherches universitaires** ont par ailleurs montré que l’externalisation, même réalisée dans des pays à bas coût comme la Chine ou le Honduras, ne s’accompagnait pas d’une baisse de la qualité de la maintenance ou de problèmes de sécurité. Il n’en demeure pas moins que les efforts actuels doivent être maintenus afin de poursuivre la certification des plateformes de maintenance internationales (et notamment chinoises) aux standards européens ou américains, avec des contrôles aléatoires toujours nécessaires.
Sous nos latitudes, nous sommes aujourd’hui arrivés à un niveau de fiabilité tel que les problèmes de maintenance ne provoquent plus aucun accident mortel depuis plusieurs années, et si des dérives existaient, les contrôles sont tellement stricts qu’ils seraient rapidement identifiés. Accessoirement, un avion est mis en oeuvre par une équipe cohérente, et tout est organisé pour que l’éventuelle défaillance d’un maillon de la chaîne soit ensuite détectée par les autres techniciens, par l’avion lui-même qui sait aujourd’hui détecter ses pannes, et par les pilotes qui réalisent également une visite avant chaque décollage. Plus que jamais, attention aux mauvais procès et à des couvertures médiatiques sensationnelles : la maintenance n’est aujourd’hui plus un problème, qu’elle soit externalisée ou non. La difficulté sera de réussir à maintenir ce niveau d’excellence sur le long terme.
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*Airlines for America, mai 2009
** Examining the relationship between aircraft maintenance outsourcing and safety, PhD dissertation, Prescott University, 2011
Liste des accidents et incidents graves liés à un défaut de maintenance depuis 1979 :
• McDonel-Douglas DC-10-10, Chicago (États-Unis), 25 mai 1979;
• Lockhed L-101, Miami (États-Unis), 5 mai 1983;
• Boeing 737-20, Hawai (États-Unis), 28 avril 1988;
• BAC 1-11, Didcot (Royaume-Uni), 10 juin 1990;
• McDonel Douglas DC-10-10, Sioux City (États-Unis), 19 juilet 1989;
• Embraer 120, Eagle Lake (États-Unis), 1 septembre 1991;
• Airbus A320, Gatwick (Royaume-Uni), 26 août 1993;
• Boeing 747, Narita (Japon), 1er mars 1994;
• Douglas DC-9-32, Atlanta (États-Unis), 8 juin 1995;
• Boeing 737-40, Daventry (Royaume-Uni), 23 février 1995;
• Boeing 747, Gatwick (Royaume-Uni), 2 novembre 1996;
• Airbus A320, Gatwick (Royaume-Uni), 20 janvier 2000.
Pour une petite compagnie ou le moteur ne sera pas le coût de la maintenance, mais la simple impossibilité de la faire en interne, soit. Pour une grosse comme AF qui a vu revenir des avions de Chine avec plus de mastic que de rivets pour tenir des panneaux de fuselage (Continental avait-il fait de même avant de décoller devant Concorde?)… ou, heureusement vide de passager, perdu 2 circuits hydrauliques sur 3 sur un vol retour de maintenance au Maroc (de mémoire) a cause de durits mal serrées!
Un avion vole et peut faire sa maintenance (programmée) loin. Visiblement dans certains pays de dumping social cela vaut le voyage. Mais dire que le risque n’est pas présent me parait très exagéré au vu d’événements qui se sont produits ces dernières années, surtout quand le moteur principal est le prix et dans des pays ou le respect des normes vaut un coup de tampon!
Au delà de la censure de posts factuels, dans votre joli monde idéal, c’est vraiment a s’en demander comment des avions arrivent encore à se casser la gueule! Et pourtant, ce n’est pas les exemples qui manquent ces dernières années, pas plus que les coups de chances inouïs… Et les derniers mois ne démentent pas au point de menacer la survie même de compagnies.
Bonjour Lym,
Les articles sont le fruit d’un long travail, nous consultons de nombreux documents (certaines références sont disponibles dans les articles) et ils sont relus par des pilotes avant publication. Le fait que des écarts aient pu être possible il y a quelques années est un fait que personne ne nie, mais il faut aussi admettre que les dérives sont rares. Les faits sont là : pas d’incident majeur depuis plus de 15 ans lié à une maintenance, qu’elle soit externalisée ou non.
Le but du blog n’est pas faire croire que le risque aérien est nul, l’objectif est de rationaliser le risque pris lors d’un voyage en avion (c’est-à-dire moindre que dans tout autre activité) et prendre du recul sur les titres à sensations. Alors oui, il faut maintenir les efforts et les contrôles, et oui il faut souhaiter que le niveau de maintenance atteint aujourd’hui (externalisé ou pas) permette de maintenir un niveau de fiabilité toujours aussi élevé.
Au plaisir de vous lire,
Xavier
On peut cependant différencier la sous-traitance et l’externalisation d’une activité. La sous-traitance sera souvent utilisée pour faire face à un manque de capacité et plutôt dans une optique ponctuelle. Ici, nous sommes bien dans l’externalisation d’une activité avec Air France par exemple où l’objectif est de permettre à Air France de pouvoir se concentrer sur son activité principale et qui peut inscrire cette externalisation de la maintenance dans la durée. Cependant, les deux solutions amènent toujours une certaine inquiétude vis à vis de la qualité.
c’est vrai que les contraintes importantes de coûts et de délais imposées par les donneurs d’ordre conduisent souvent à négliger chez les sous-traitants les problématiques de sécurité et santé au travail : La prévention des risques professionnels de la sous-traitance interne sur site : http://www.officiel-prevention.com/formation/fiches-metier/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=206&dossid=263