La protection du domaine de vol, ou comment l’avion refuse les situations dangereuses

Le Concorde, premier avion possédant des commande de vol électriques

Un avion de ligne moderne possède un grand nombre de protections qui doivent empêcher les pilotes de l’engager dans des situations dangereuses : voler trop lentement, faire des virages trop inclinés… On dit alors que l’avion protège son domaine de vol, c’est à dire qu’il refuse de sortir des conditions de vol permettant d’assurer sa sécurité. Petit retour en arrière.

Il y a quelques décennies, lorsque le pilote utilisait son manche, il tirait des câbles et des poulies qui actionnaient physiquement les surfaces mobiles placées au bout des ailes appelées gouvernes. Le Concorde a été le premier avion utilisant les commandes de vol électriques, une nouvelle technologie permettant de s’affranchir de ces câbles. Outre un gain de poids notable (et donc des économies), cette évolution a permis de grandes avancées en termes de sécurité : plus de poulies et ressorts à resserrer mais de simples câbles électriques qui transmettent directement les ordres des commandes vers les gouvernes actionnées par des vérins hydrauliques. En doublant ou triplant ces câbles électriques, les ordres arriveront forcément jusqu’aux gouvernes, alors qu’un blocage était jusqu’alors plus fréquent… Après le Concorde, les commandes de vol électriques ont été installées sur l’Airbus A320 en 1988 puis sur le Boeing 777 en 1994, et sauf exception tous les avions de ligne ont aujourd’hui adopté ce standard.

Mais une autre possibilité a été offerte par les commandes de vol électriques : des ordinateurs de bord peuvent directement actionner les gouvernes et ainsi « surveiller » les actions des pilotes. Du point de vue de l’expérience passager, cela a une conséquence majeure : l’avion sait contrer les éventuelles turbulences avec rapidité bien supérieure à celle du plus fulgurant des pilotes ! Moins de turbulences et la structure de l’avion qui subit moins de chocs, une avancée supplémentaire. Mais cela permet également de faire passer les ordres des pilotes par un ordinateur avant de les transmettre aux gouvernes, avec pour objectif de limiter les ordres anormaux ou dangereux.

Le joystick a remplacé le manche central dans les avions Airbus. Cette évolution a été permise par l'implémentation des commandes de vol électriques.

Le joystick a remplacé le manche central dans les avions Airbus. Cette évolution a été permise par l’implémentation des commandes de vol électriques.

Les deux constructeurs Airbus et Boeing implémentent cette sécurité de manière différente. Chez Airbus, le manche est remplacé par un joystick et les ordres d’inclinaison sont filtrés : en dessous de 33° d’inclinaison l’avion obéit aux ordres et maintient son virage, entre 33 et 45° l’avion revient à une inclinaison plus faible si le pilote arrête son virage, et l’avion refuse même de dépasser les 66° (si l’avion est en montée, ces valeurs seront réduites). Chez Boeing, les pilotes ont toujours entre les mains un manche central avec un retour de force, mais plus l’avion se penche et plus il devient lourd aux commandes, ce qui dissuade d’aller plus loin. Avec ces nouvelles protections, les pilotes ne peuvent plus mettre l’avion dans une situation dangereuse par erreur.

Mais que se passe-t-il si l’avion se trompe, qu’il refuse une procédures normale ou qu’il décide de se mettre en descente alors que cela n’est pas nécessaire à cause d’informations fausses ? Pas de panique, tout est prévu. Pour Airbus, lorsque l’avion vole en loi dite « Normale » il refuse des facteurs de charge de plus de 2,5G, les montées à plus de 30°, et empêche par exemple une mise en descente si l’avion est proche de la survitesse. En cas de dysfonctionnement, les lois « Alternate » 1 ou 2 permettent de maintenir une protection moindre.
Mais il est également possible de passer en loi dite « Directe », la plus dégradée, dans laquelle les actions du pilote sur ses commandes donnent des ordres proportionnels aux gouvernes de l’avion. Il n’y a alors plus de protection du domaine de vol, même si les alarmes (comme celle du décrochage) continuent bien sûr à fonctionner ! Cela a plusieurs intérêts : si un avion se mettait par exemple en descente au mauvais moment à cause de données erronées venant de ses capteurs, les pilotes peuvent ainsi reprendre la main et éviter l’accident. Cela est déjà arrivé plusieurs fois, et les pilotes ont alors simplement repris l’avion en main avec un pilotage « à l’ancienne », comme s’il s’agissait d’un bombardier de la deuxième guerre mondiale. Soulignons par ailleurs que les pilotes repassent au simulateur de vol au minimum tous les 6 mois pour s’entraîner à ce genre de situation (et à bien d’autres), et que leur formation est d’ailleurs de plus en plus orientée « s’en sortir malgré l’avion ».

Les détracteurs d’Airbus affirment parfois que ces protections seraient dangereuses car elles ont pu empêcher des pilotes de rattraper une situation critique. En réalité cela est arrivé dans un seul cas, en 1990 sur le vol 605 Indian Airlines, lorsque les pilotes n’ont pas pu agir de manière aussi vive que nécessaire pour faire une remise de gaz. Mais il faut surtout admettre que ces protections ont sauvé un nombre bien supérieur d’avions !
Précisons enfin qu’en cas de panne électrique totale, il existe encore une gouverne de direction mécanique et la possibilité de faire bouger la gouverne de profondeur. Et oui, les ingénieurs ont pensé à tout   😉

À propos de Xavier Tytelman

Ancien aviateur militaire aujourd'hui consultant sur les questions aéronautiques. Responsable et formateur au Centre de Traitement de la Peur de l'Avion (www.peuravion.fr). Tel : +33667484745
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2 réponses à La protection du domaine de vol, ou comment l’avion refuse les situations dangereuses

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