Quelles que soient les conditions d’un accident, le facteur météo est TOUJOURS mis en avant par les médias. Le cas du crash du MD-83 AH5017 d’Air Algérie opéré par Swift Air et qui reliait Ouagadougou à Alger en juillet 2014 avant de s’écraser dans le nord du Mali ne déroge pas à cette règle. J’ai été interviewé par une radio, une chaîne d’info continue et pour un des JT nationaux, et à chaque fois on accuse la météo et les orages, le front intertropical et l’inexpérience des pilotes dans le ciel africain… Non seulement ces informations sont fausses, mais ici la cause est toute autre et ce sont toujours ces paramètres qui sont mis en avant, renforçant encore la peur de l’avion des malheureux passagers qui regardent la météo et découvrent que des orages sont prévus le jour de leur voyage… Non, les orages ne provoquent pas de crash, et dans le cas du AH5017, l’accident a été provoqué par le gel des capteurs permettant aux moteurs d’adapter leur poussée. Et ce gel n’est pas spécifique à l’Afrique ni aux orages. Décryptage.
Reprenons d’abord le déroulement des événements : l’avion vole dans une atmosphère froide et humide, les capteurs de ses moteurs gèlent puis fournissent des informations fausses, provoquant la réduction de la puissance des moteurs, ce qui entraîne une perte de vitesse. Lorsque l’avion ralentit, les pilotes doivent normalement se mettre en descente pour entretenir cette vitesse et continuer à voler, mais c’est l’action contraire qui a été prise : les pilotes ont tiré sur le manche, ce qui a encore ralenti l’avion, jusqu’à provoquer un décrochage et donc le crash de l’avion. Il existe sur ces avions un système permettant de réchauffer les capteurs de vitesse afin qu’ils ne tombent pas en panne, mais ils ne sont pas activés en permanence car ils utilisent une partie de la chaleur issue du moteur, ce qui en réduit la puissance, limitant ensuite la vitesse de l’avion. Le système n’est donc activé qu’en cas de besoin, et c’est bien ce qui est reproché aux pilotes : ils ne l’ont pas activé alors que les conditions météorologiques l’auraient exigé.
Rappelons par ailleurs que le décrochage est la seule situation dans laquelle un avion ne vole plus. Toute les pannes ont une solution et les pilotes sont entraînés pour les appliquer, y compris la perte de toute l’énergie électrique ou la coupure de tous les moteurs (dans ce cas on peut encore planer plusieurs dizaines de minutes sur des centaines de kilomètres)… Bref, la base, c’est bien d’éviter le décrochage, et ils sont heureusement rares.
Pourquoi les pilotes ont-il agi de manière inadaptée ? De nombreux paramètres entrent toujours en compte dans un accident aérien, mais dans ce cas les médias mélangent tellement d’éléments qu’il est difficile d’aborder tous les sujets dans un seul article. Parmi les accusations systématiques (et sans intérêt) :
– le briefing et la carte météo étaient vieilles de deux heures ;
– les pilotes étaient inexpérimentés en Afrique où ils ne réalisaient que leur deuxième vol ;
– il y avait un nuage d’orage sur leur trajectoire et les pilotes ne l’auraient pas contourné avec une marge suffisante…
Soyons clair, une carte météo vieille de deux heures reste fiable et la météo est d’ailleurs disponible sur 18 heures. Un ouragan ne se déclare pas sans préavis en quelques heures, et les zones pouvant contenir des cumulonimbus (les nuages d’orage) sont clairement définies et évoluent bien moins vite que la vitesse de déplacement d’un avion.
Pour la deuxième partie de l’accusation, les pilotes étaient en fait expérimentés puisqu’ils avaient chacun plusieurs milliers d’heures sur l’avion, et le fait qu’ils n’aient pas beaucoup opéré en Afrique n’est pas lié au problème puisque le gel de ces capteurs n’est pas un problème africain ! Cet orage et ce nuage ne sont pas liés à l’accident, la faute revient à une atmosphère givrante, ce qui peut exister de jour comme de nuit et hors de tout nuage.
Il existe au moins deux précédents dans lesquels un MD83 a vu ses capteurs geler jusqu’à provoquer une réduction de la puissance moteur : en juin 2002 aux USA et juin 2014 au sein de la même compagnie Swift Air. Dans ces deux cas, les pilotes ont eu les bonnes réactions, ils ont identifié le problème, mis en œuvre le système de chauffage des capteurs et se sont mis en descente pour maintenir une vitesse correcte. Dans ces deux cas, les avions volaient en air clair, hors des nuages et ne se trouvaient pas en Afrique ou sur un quelconque front inter-tropical.
Le crash n’est donc pas lié à la météo, mais plutôt à une mauvaise gestion d’une panne, et surtout au très mauvais retour d’expérience de ces pilotes qui n’ont pas su maîtriser une situation connue et gérable, d’autant plus qu’une situation identique avait été rencontrée dans la même compagnie seulement un mois avant le crash ! On entend également partout que les pilotes étaient des « saisonniers » ne travaillant à temps plein en tant que pilote que 6 mois par an, ce qui expliquerait les actions inopportunes. Sauf que les pilotes étaient en réalité expérimentés, y compris en Afrique ! Le pilote volait depuis 1997 sur les avions DC9 et était même formateur sur l’avion, il avait quitté Spannair en 2012. Et contrairement à ce qui est répété, il avait à son actif de nombreux vols en Afrique depuis 18 ans ! Les pilotes « à temps partiel » ne sont bien sur pas la règle, mais le maintien de leurs compétences est assuré y compris dans leur période « off », et ce système de formation continue permet normalement le maintient d’un niveau de compétence optimale.
L’avenir nous donnera ces réponses, mais la compagnie est très largement pointée du doigts par les médias et la boite noire enregistrant les sons n’ayant pu fournir aucune donnée, les conclusions attendues en décembre seront probablement incomplètes. On parle notamment d’un rythme de vol soutenu et d’une fatigue importante des équipages, du simulateur de vol utilisé qui ne serait pas exactement celui de l’avion (des différences minimes peuvent exister comme par exemple une version différente du radar météo, ce qui ne modifie en rien le pilotage de l’avion). Si ces accusations étaient vraies, alors la compagnie n’a pas respecté les obligations de sécurité aérienne européennes, et elle aurait déja du être placée sur la Liste Noire des compagnies aériennes et interdite de vol, or il n’en est rien. Swift Air continue à voler quotidiennement, ce qui laisse penser qu’elle ne serait pas en cause.
Pour tous ceux qui ont peur de l’avion, une chose est maintenant sure : après les Airbus et les Boeing, tous les pilotes de MD-83 du monde savent aujourd’hui comment réagir face à un décrochage. Il est simplement malheureux qu’un crash ait eu lieu alors que la situation était maîtrisable.
merci beaucoup pour le partage . Très intéressant.
Les infos sont génial .
Je ne connaissais pas ce site, c’est une super découverte, merci !