Ce crash a commencé comme plusieurs autres : le site FlightRadar24 qui suit tous les avions en vol grâce aux émissions de leur transpondeur détecte que l’Airbus A320 d’Egypt Air MS804 reliant Roissy CdG au Caire a cessé d’émettre instantanément. Si elle n’est précédée par aucun message de dysfonctionnement ou signal d’alerte, une telle coupure de toutes les communications ne laisse qu’une option : l’explosion de l’avion en plein vol…L’absence de systèmes potentiellement explosif dans un avion de ligne oriente alors tous les analystes vers la possibilité d’une bombe placée à bord. Cette éventualité, bien que la plus probable au vu des données disponibles, ne me satisfaisait pas, le niveau de sûreté aéroportuaire observé dans les aéroports français étant parmi les plus élevés du monde, même supérieur aux exigences des normes européennes ! S’il y avait eu une faille à Paris, toutes les procédures partout dans le monde auraient dû être revues.
« Des niveaux de sécurité incroyables à Roissy » Xavier Tytelman @PeurAvion @aeroportsparis #E1Midi #EgyptAir https://t.co/u5D7LQoKng
— Europe 1 (@Europe1) 19 mai 2016
Le lendemain de l’accident, la Grèce annonce que l’un de ses radars militaires a pu observer une évolution pour l’appareil, avec une descente accompagnée d’un virage à gauche à 90° puis d’un tour complet par la droite jusqu’à une altitude où l’appareil n’est plus détecté par le radar. Cette information n’a a l’heure actuelle toujours pas été confirmée. Une telle trajectoire aurait pu être aléatoire, par exemple suite à l’explosion, mais elle peut aussi être contrôlée. Cet angle et cette mise en descente peuvent correspondre à une procédure de descente d’urgence. En cas de problème nécessitant une descente rapide, les pilotes ne descendent pas dans l’axe, ils réalisent justement un virage gauche à 90° afin d’éviter de croiser un avion pouvant se trouver sur la même airway à un niveau inférieur. Si l’avion n’a pas été détruit instantanément et que de tels mouvements ont réellement été observés, la théorie de l’explosion ne tient plus. Le doute s’est installé.
Après deux jours, un élément vient changer radicalement la donne. Une fuite dans un journal en ligne spécialisé dans l’aérien révèle que le système ACARS a envoyé plusieurs messages avant de cesser d’émettre. Il faut bien comprendre que l’ACARS n’est qu’un moyen de communication permettant entre autres d’envoyer des informations sur le fonctionnement de l’avion au fabricant du moteur, à la compagnie aérienne et à l’avionneur. Son objectif n’est pas de permettre une enquête en cas d’accident mais simplement de préparer une éventuelle maintenance qui sera réalisée dès l’atterrissage de l’avion, avec pour objectif un redécollage à l’heure prévue pour le trajet suivant.
Une situation similaire avait été observée à l’époque du Rio-Paris : les messages ACARS indiquant un problème sur les capteurs de vitesse avait été publiés sur un blog, Air France en avait nié l’authenticité avant de devoir admettre qu’il s’agissait des messages authentiques. On a observé ici le même cheminement : l’Egypte nie l’information, la rumeur se répand, puis le Bureau Enquête Analyse (BEA) qui participe à l’enquête (avion construit en France et décollant de France) finit par confirmer que les données sont les bonnes. Et cela change TOUT pour l’analyse de l’accident.
L’avion n’a pas cessé d’émettre instantanément, il a envoyé des messages de mauvais fonctionnement pendant près de 3 minutes avant la rupture des communications ! Ces données sont précises :
– un message indiquant une problème sur le système de dégivrage de la vitre du cockpit côté copilote est émis à 2h26 (certains pensent qu’une hausse de température aurait pu déclencher cette alarme),
– de la fumée est détectée dans les toilettes puis dans la soute avionique (2h27) se trouvant sous le cockpit. C’est là que se trouvent de nombreux calculateurs et systèmes assurant le fonctionnement de l’avion.
– à 2h29, deux ordinateurs se déconnectent : le FCU2 permettant l’affichage de données de navigation sur l’un des écran, et le SEC3 lié à deux aérofreins (tout cela n’empêche pas le vol normal de l’avion).
Le plus important est désormais la détection de fumée, normalement révélatrice d’un incendie à bord. Une alarme a retentit dans le cockpit et les pilotes ont certainement appliqué une check-list réduisant l’utilisation de l’électricité au strict minimum : éclairage d’urgence et seulement trois écrans allumés (deux pour que le commandant de bord puisse continuer à piloter l’avion, un pour le traitement des pannes). L’avion se pilote dès lors en un mode de pilotage dégradé (dit alternate law), une situation à laquelle tous les pilotes s’entraînent mais qui devient délicate. Les diverses sources électriques (batteries, moteurs…) sont coupées alternativement afin de localiser l’origine du problème, puis une descente vers 10.000 pieds permet l’aération de l’avion (à cette altitude l’avion n’a pas besoin d’être pressurisé et on peut ouvrir une fenêtre dans le cockpit et lancer un système d’aération spécial). Ces procédures sont prioritaires sur toute autre action, y compris le fait d’avertir les contrôleurs aériens de la situation.
Niveau communication, il ne reste dans cette configuration que la radio VHF n°1, alors que l’ACARS est trasmis via la VHF n°3. L’action des pilotes est-elle à l’origine de la fin des émissions de ce système ? Quoi qu’il en soit, l’avion reste alors contrôlable même si son pilotage est rendu plus complexe, et le virage à 90° à gauche pour une descente pourrait être une suite logique et volontaire à la fumée à bord… Les pilotes s’orientent normalement ensuite vers le terrain le plus proche.
Revenons en aux causes de l’accident. Si incendie il y a, il peut être causé par un fumeur indélicat, par un engin incendiaire placé à bord (mais les experts du terrorisme n’y croient pas : les terroristes utilisent des bombes, pas des cocktail Molotov avec retardateur) ou par un problème technique sur l’appareil. Le mystère restera donc entier jusqu’à ce que les boites noires soient retrouvées. Les premières recherches des débris ont été réalisées de visu par des bateaux et des avions de patrouille maritime (la France a envoyé l’Atlantique 2, avion sur lequel j’étais Détecteur Navigateur Aérien). Un navire de la Marine Nationale équipé de système de détection des boîtes noires doit arriver dans les toutes prochaines heures sur la zone de recherche. La profondeur de la Méditerranée est de 2 à 3000 mètres dans cette région, mais les boites noires vont encore émettre un mois et il est presque sur qu’elles seront retrouvées, et avec elles le fuselage de l’avion. Les enquêteurs pourront alors déterminer la cause de l’accident et ses conséquences pour la gestion de l’appareil dans les dernières minutes.
Cette analyse se fait à la lumière des données aujourd’hui disponibles, mais il est tout à fait possible que certaines informations soient incomplètes ou fausses. Les données ACARS ont-elles toutes été rendues publiques ? l’Egypte dit qu’elle n’a pas observé les virages annoncés par la Grèce, qui dit vrai ? N’y a-t-il vraiment eu aucun message des pilotes malgré plus de 3 minutes de pannes ?
Difficile de conclure un tel article, si ce n’est en essayant d’être rationnels. Si l’on reste sur la piste de l’incendie, le fumeur et le terroriste sont des situations évitables. Si l’on est sur un problème technique pour l’Airbus, alors il pourra s’agir d’une mauvaise maintenance ou d’un défaut sur un système. Mais c’est un problème qui n’est survenu qu’une seule fois en 29 années d’opérations pour l’avion, malgré plus de 7000 appareils livrés et 600.000 heures de vol réalisées chaque mois ! Il n’y a qu’une seule certitude : le problème sera identifié et corrigé avant qu’il ne survienne à nouveau.
La sécurité est ainsi faite que l’on doit se contenter de statistiques… Cet accident n’était que le deuxième de l’année 2016 pour l’aviation commerciale, ce qui fait de cette première moitié de l’année la meilleure de toute l’histoire de l’aviation, avec moins d’un accident pour 10.000.000 de vols réalisés. Ne renoncez donc pas à votre voyage en avion pour le remplacer par un trajet en voiture ou en train, le risque serait forcément plus élevé !
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Merci à Stephane, pilote d’Airbus A320, pour sa relecture bienveillante et les corrections.
Merci pour votre travail ! Vous êtes génial !
Xavier est probablement le seul expert aéronotique qui arrive à faire comprendre un problème technique complexe, à des novices.
Je suis conquis par chacun de ses posts.
Parmi tous les experts médiatiques, qui s’exprime en continue sur les chaines d’info, c’est le seul que j’écoute, et que je crois
Nacer