Même s’il est très tôt pour tirer des conclusions définitives de l’accident qui a eu lieu ce matin, de nombreux éléments permettent déjà d’exclure certaines hypothèses. Il s’agit d’un avion de la marque British Aerospace de type Avro RJ85, un appareil sorti d’usine à la fin des années 90 et appartenant à la compagnie Lamia qui ne possède que deux avions. L’appareil transportait 77 personnes (l’équipe de football de Chapecoense avec son staff, des journalistes ainsi que l’équipage composé de 3 pilotes, 2 mécaniciens et 4 PNC, un équipage certainement renforcé en raison du long trajet qui devait être réalisé). Ce type d’avion est normalement conçu pour réaliser optimalement des vols de moins de 3.000 km et d’une durée de 3h30 à 4 heures.
Les passagers du vol ont d’abord été convoyés depuis Sao Polo (Brésil) jusqu’à Santa Cruz (Bolivie) à bord d’un Boeing 767. L’Avro arrivait pour sa part de Cochabamba, un trajet d’une quarantaine de minutes. Les passagers embarquent donc l’Avro à Santa Cruz et non depuis le Brésil comme cela est parfois écrit dans la presse. D’après les données disponibles, l’avion a ensuite réalisé un trajet à 2.975 km de distance et cela lui prend 4h45, un temps de vol probablement allongé par le vent de face observé dans la zone de l’altitude de vol 300 (ce qui correspond à environ 10.000m). On est donc bien au dela des 4h de vol optimaux pour cet appareil.
Arrivé à proximité de sa destination à Médeline (Colombie), les pilotes auraient annoncé aux contrôle aérien qu’ils avaient détecté un problème électrique, une situation normalement gérable (timing de cette annonce inconnu). L’avion se met alors en circuit d’attente au niveau de vol 210, presque deux fois plus haut que le FL110 prévu pour cette attente dans la zone (raison inconnue). On ne sait à l’heure actuelle pas si ce circuit a été réalisé à la demande des pilotes (ils auraient pu souhaiter stabiliser cette panne avant leur atterrissage) ou par les contrôleurs aériens (il est très fréquent de demander un report de l’atterrissage, par exemple lorsqu’il y a un nuage orageux sur la piste et que l’on doit attendre qu’il se décale). [MAJ 30/11 : la tour de contrôle avait apparemment demandé à l’Avro d’attendre]
D’après les éléments disponibles, l’avion aurait ainsi tourné jusqu’à se retrouver en panne d’essence, obligeant les pilotes à assurer une descente planée. Ce type d’appareil a une finesse (la capacité de planer d’un avion) assez faible, inférieure à ce que l’on observe sur les Airbus et le Boeing, et même s’il ne se trouvait qu’à quelques dizaines de kilomètre de l’aéroport il n’a pas été capable de rejoindre la piste. L’avion se trouvait à seulement 5 minutes de vol de l’aéroport à l’endroit du crash… Le fait qu’il y ait plusieurs survivants dans l’avion tend cependant à prouver que les pilotes ont réussi à maîtriser leur appareil de leur mieux pendant le vol plané et jusqu’à l’impact, permettant de réduire l’intensité du choc et sauvant plusieurs passagers.
Trois éléments permettent d’étayer la théorie de la panne sèche. Il s’agit tout d’abord des déclarations du maire du village proche duquel l’accident a eu lieu qui est le premier à avancer cette thèse. Vient ensuite l’analyse des débris, ceux-ci ne portant apparemment pas de trace de combustion. Et enfin cette fameuse panne électrique qui pourrait en réalité cacher autre chose. Il arrive que des pilotes perdent la notion du temps lorsqu’ils s’entraînent à la gestion d’une panne en simulateur de vol: ils sont tellement absorbés par la correction du problème qu’ils en oublient de vérifier le carburant. Une autre explication, moins probable mais à ne pas négliger, serait que ces problèmes électriques viennent justement d’un début de panne moteur en panne d’essence… L’Avro est équipé de 4 réacteurs et deux d’entre eux fournissent l’énergie aux circuits électriques. Dans les rares cas de panne d’essence ayant eu lieu en vol (moins d’un cas par décennie pour les vols commerciaux !), les moteurs ne s’éteignent pas tous en même temps… Si notre avion a commencé par avoir une panne sur un des moteurs fournissant l’électricité, il est imaginable que les pilotes aient perçu des problèmes dans ce
domaine, mais les pilotes auraient-ils pu en rater la cause ? Avaient-ils conscience du niveau de carburant encore disponible ? Les indicateurs dans le cockpit étaient-ils fiables et des alarmes ont-elles retenti (un Avro RJ85 avait par exemple eu des soucis sur son système de carburant en 2009 en Finlande) ? Y a-t-il eu incompréhension entre les pilotes et la tour de contrôle comme pour le vol Avianca en 1990 (le pilote hispanisant avait mal utilisé les termes « urgence » et « priorité ») ?
[ajout 29/11 à 23h25] D’après les graphiques indiquant la performance de l’avion ci-contre, un Avro RJ-85 emportant 8 tonnes de passagers et de bagages ne peut pas réaliser de trajet excédant 1.600 nautiques, soit 2.960 km. On l’a vu, l’appareil s’est crashé après avoir parcouru 2.975 km avec en plus un vent défavorable de face, c’est donc bien une panne d’essence qui est à l’origine de l’accident. [fin de l’ajout]
D’après un pilote consulté (mais non qualifié sur cette machine), la quantité de carburant restant dans les réservoirs auxiliaires n’est pas clairement indiquée sur les Avro, seule l’indication « non vide » étant disponible. Une telle information est-elle suffisante ? Depuis le début des années 2000 et le vol plané de commandant Robert Piché vers les Açores suite à une panne d’essence sur l’Atlantique (l’avion avait atterri sans encombre après plus de 20 minutes de vol plané), les Airbus doivent comparer en temps réel la consommation de carburant théorique avec le contenu restant dans les réservoirs. Cette procédure est-elle possible et appliquée sur Avro également ?
Quoi qu’il en soit, les boites noires ont été retrouvées et l’enquête pourrait être rapide. Cet événement nous rappelle aussi que les accidents aériens ont un taux de survie étonnement élevé, puisque l’on a en moyenne 60% de survivants d’après une étude de Popular Mecanics portant sur les crashs ayant mortels eu lieu entre 1971 et 2007 (c’est-à-dire en ne considérant que les accidents ayant connu au moins un mort).
Si vous avez peur de l’avion, n’extrapolez pas cet accident sur les prochains vols que vous pourrez prendre. Un malheureux événement sur un Avro en Colombie ne remet pas en cause la fiabilité extrême des Airbus et des Boeing que vous prendrez demain au départ ou à destination de l’Europe. Il ne s’agit que du quatrième accident mortel de l’année, espérons le dernier, et pour la première fois cette année on se situe un ratio inférieur à un accident pour 10 millions de voyages réalisés… Mais ces événements aéronautiques reçoivent une couverture médiatique 150 à 200 fois supérieure à tout autre type d’événement, c’est cela qui modifie notre perception du risque en vol.
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Un grand merci à « Lustucrew » de la communauté AvGeek pour ses analyses, à Etienne pour son point de vue « pilotage », ainsi qu’à tous ceux qui ont apporté des éléments lors de nos nombreux échanges sur Twitter aujourd’hui.
Et pour les personnes qui voyagent en France ou en proche Europe, ils seront peut-être amenés à voler sur des ATR, des Embraers ou des CRJ, moins connus que les Airbus et Boeing.
Les ATR sont des biturbopropulseurs (avions à hélice) de construction européenne, les CRJ (Canadair Régional Jet) sont des jets de construction canadienne, tandis que les Embraer (majoritairement 170 et 190) sont des jets de construction brésilienne.
Ces 3 appareils constituent la flotte d’une grande compagnie régionale française, et leur fiabilité n’est plus à démontrer. Bons vols à tous.
En effet Arnaud, merci pour cette précision : l’avion en lui-même ne sera certainement pas en cause, c’est plutôt la volonté des pilotes de réaliser ce trajet trop long qui sera en cause. On apprend ce matin que le pilote était le vice président de l’entreprise et qu’il a cru qu’il serait capable de faire tout le trajet alors qu’un stop refuel était prévu…
Volez sans même vous soucier de la marque de votre avion, c’est davantage le pays ou la compagnie qu’il faut vérifier. Une fois de plus on n’est pas ici sur un vol régulier mais sur un vol privatisé, statistiquement ces charters sont moins fiables.
Bonjour,
Merci pour votre article. Est-ce que tous les avions (A380- Boeing 777) peuvent planer en cas de panne d’essence ou autre problème technique lié au moteur?
Merci d’avance.
Bonjour, oui tous les avions savent planer sur une distance qui va être proportionnelle à la hauteur. Pour faire simple, un avion qui vole à 10.000 mètres aura une portée à plane minimale de 200 Km au moins. Et cela est bien sur valable pour tous les avions sans exception, sans limite de marque ou de taille 🙂