Ecrit le 25 Janvier 2017
« Si les masques à oxygène se déploient, enfilez-les et respirez normalement… » – Mais que se passe-t-il réellement en cas de dépressurisation ?
(Image extraite de la vidéo de sécurité Air New Zealand)
Pour un avion, il est très avantageux de voler haut : moins de collisions avec des oiseaux, une meilleure portée s’il fallait planer, mais aussi moins d’air qui nous freine, ce qui permet de voler plus rapidement tout en consommant moins de carburant. Les avions volent donc entre 10 et 13.000 m d’altitude en vol de croisière, ce qui correspond à un ratio altitude / performance optimal. Mais à cette altitude, l’air est très froid (-56°C !) et il tellement peu dense qu’un humain s’évanouirait en une dizaine de secondes s’il devait le respirer… On fait donc en sorte de maintenir une pression atmosphérique vivable dans la cabine, et des masques à oxygène sont disponibles en cas de dépressurisation. Mais outre la tombée de ces masques (qui font peur, oui je sais), que se passe-t-il dans le cockpit dans ce cas ? Et quels sont les risques pour l’avion et ses passagers ?
Tous les avions qui volent au-delà de 3000m d’altitude doivent être pressurisés pour que l’air y soit respirable sans effort, c’est-à-dire que l’air ambiant est d’une densité égale à ce que l’on rencontre au sol lorsque l’on se trouve en moyenne montagne, même si l’on vole beaucoup plus haut. L’air provient de l’extérieur de l’avion, il est réchauffé et compressé, et plusieurs systèmes complémentaires permettent de maintenir ce niveau de confort et de sécurité.
Sur un Airbus A320, on compte 2 systèmes de contrôle de la pression de la cabine (les CPC), une vanne de décharge (ou outflow valve) équipée de trois moteurs électriques dont le fonctionnement est totalement indépendant (2 automatiques et 1 manuel), puis encore deux valves de sécurité. Au cours des différentes étapes d’un vol, le système va travailler automatiquement pour réduire les évolutions de pressions trop brutales. Dans le pire des cas, l’évolution de la pression atmosphérique correspond à ce que l’on vit quand on se trouve au ski et que l’on utilise un télésiège : elle baisse comme si l’on s’élevait à environ 160 mètres par minute.
L’outflow Valve (ici sur un Boeing 737) se trouve à l’arrière de l’avion sous sa queue, c’est par là que l’air sort de l’avion. Merci à @lustucrew pour la photo
Il existe deux modes de fonctionnement alternatifs au cas où tout en fonctionne pas correctement. Le premier doit être utilisé si l’un des calculateurs ou qu’un des ordinateurs ne fonctionne pas. Les pilotes devront simplement indiquer à la main l’altitude réelle de l’aéroport de destination et le système fait les calcules normalement, c’est le mode semi-automatique. Il existe enfin un mode manuel, le plus dégradé, dans lequel le pilote doit définir lui-même l’altitude que l’on va ressentir en cabine. Dans ce mode, le régulateur utilise un circuit de secours possédant sa propre alimentation électrique et c’est le moteur manuel de l’outflow valve qui est actionné. Un capteur de pression surveille alors l’altitude ressentie dans la cabine, et si elle devient trop élevée une alarme retentit dans le cockpit.
Extrait du briefing de sécurité Air France sur la mise en place du masque
Très concrètement, si la pression n’est pas correctement contrôlée et que le « ressenti cabine » dépasse ce que l’on vivrait au sol à 2874 mètres d’altitude, l’alarme « EXCESS CAB ALT » se déclenche dans le cockpit. Si la pression cabine continue à diminuer et atteint 3400 mètres, le signal « attachez vos ceintures » s’allume, invitant les passagers à s’asseoir… en effet, si le ressenti continue à baisser au delà de 4214 mètres, les masques à oxygène vont automatiquement se déployer, et il faut être à sa place pour y avoir accès (il y a 4 masques par rangée de 3 sièges et également des masques dans les toilettes, à quoi on ajoute des bonbonnes portables que les PNC pourront utiliser pour se déplacer si nécessaire). Dans ce cas, une procédure d’urgence s’applique : les pilotes se mettent en descente pour revenir à moins de 4000 mètres d’altitude. A ce niveau, l’air extérieur est respirable, il n’y a donc plus de soucis même si l’on est dépressurisé et les occupants de l’avion peuvent arrêter d’utiliser le masque à oxygène. Si par hasard un passager n’a pas mis son masque à oxygène et qu’il s’est évanoui, il se réveillera à cette altitude.
Sur les vieux avions comme cet Airbus A310, la pression était contrôlée via des cadrans… peu d’informatique, pas de détecteur perfectionné ni d’alarme dans le cockpit…
Merci à @Lustucrew pour cette photo
Sur l’année 2016, j’ai répertorié 21 cas de dépressurisation nécessitant un atterrissage. Dans la majorité des cas, le dysfonctionnement est détecté pendant la montée car l’appareil ne se pressurise par correctement. L’avion ne pouvant accéder à son altitude de croisière sans être pressurisé, les pilotes retournent simplement se poser sur l’aéroport de départ.
Dans une dizaine de cas, la baisse de pression est détectée pendant le vol de croisière, les masques se déploient et les pilotes se mettent en descente rapide. Parmi ces cas, une seule dépressurisation a été rapide, toutes les autres étaient lentes et sans conséquences médicale. Il faut être clair sur un point : la dépressurisation n’a jamais tué un passager. On est donc très loin de la vision que l’on observe dans les films catastrophe…
Les masques sont tombés sans raison dans cet A380… Les pilotes ont choisi de se poser pour tout ranger, mais l’appareil aurait pu continuer son trajet sans problème.
Photo « Up in the sky/Bart Dorreboom »
Dans six autre cas, le soucis de pressurisation a eu lieu en vol de croisière mais il a pu être géré par l’équipage, ce qui n’a pas empêché l’avion de réaliser son trajet. Cela est parfois du à une fausse alerte, mais en cas de doute les pilotes réalisent toujours les procédures d’urgence, avec parfois un déploiement des masques par simple précaution. Dans ces cas, les pilotes finissent souvent le voyage à basse altitude sans même que cela ne soit remarqué par les passagers. Si la dépressurisation devient réelle, il n’y aura aucune conséquence puisque l’on se trouve déja à basse altitude. Dans cinq dernier cas, les masques à oxygène se sont déclenchés sans aucune raison ni action des pilotes ni alerte de pressurisation dans le cockpit… Panique chez les passagers mais rien d’inquiétant pour l’équipage : ce n’est qu’une erreur.
La dépressurisation fait souvent peur car elle fait partie du briefing de sécurité et que toute une mythologie l’entoure… Si l’on évoque un sujet dans le briefing, c’est que la probabilité que cela arrive n’est pas nulle, et de nombreuses théories entourent ces fameux masques (certains croient même qu’ils contiennent du gaz hilarant !). Dans les films, la tombée des masques est l’étape qui précède un accident, mais cela n’est heureusement pas le cas.
Continuez à voyager et à suivre les briefing de sécurité, mais restez toujours rationnels sur cette réalité : même si vous faites partie des 0,00005% de vols qui rencontrent un problème de pressurisation, les pilotes sont entraînés pour réagir et gérer la situation.