La semaine dernière, un Airbus A340 d’Air France a décollé de Bogota alors qu’il se trouvait presque à la fin de la piste, provoquant l’ouverture d’une enquête du Bureau Enquête Analyse chargé d’analyser les incidents. D’après les médias, l’aéroport serait dangereux. Sur internet, les forums regorgent d’ailleurs de personnes ayant peur de l’avion et pointant du doigt certains aéroports dangereux. Chacun y partage ses craintes, répétant les (fausses) informations vues ailleurs, générant de nouvelles craintes sans fondement… Dans les stages, on nous demande très fréquemment si les aéroports de Madère, de Tenerife, Saint-Martin (dans les Antilles) ou Osaka (Japon) sont dangereux, et Bogota va certainement allonger cette liste des idées reçues. Tour d’horizon des légendes urbaines et des réalités.
1) Les avions sont adaptés aux aéroports qu’ils utilisent (et vice-versa)
Lorsqu’un aéroport veut pouvoir accueillir de très gros porteurs (comme l’A380), il doit adapter ses terminaux, mais il doit aussi parfois élargir la piste pour des avions de près de 100 mètres d’envergure. La piste a des performances mécaniques (dureté du sol, longueur et largeur) et est contrainte par des facteurs spécifiques (brouillard fréquent, altitude, chaleurs, vents…) qui le limitent. Il faut donc recevoir un agrément délivré par les autorités de l’aviation civile pour permettre une sécurité totale pour chaque type d’appareil. Si un paramètre est « hors limites », l’aéroport est interdit pour la catégorie d’avions en question, c’est ce qui est par exemple arrivé à l’aéroport de l’Île de Saint-Hélène (île de l’Atlantique sud) sur lequel le vent est en permanence trop fort pour y accueillir des avions de ligne… Un investissement inutile à 330 millions d’euros pour la Grande-Bretagne ! Si vous achetez un billet vers une destination, vous savez donc que l’avion ET l’aéroport permettent de réaliser le trajet en toute sécurité.
2) Certains aéroports sont particuliers
Sans être dangereux, certains aéroports demandent que le pilote ait découvert la piste en tant que « passager » avant de pouvoir s’y poser lui-même. C’est-à-dire qu’il doit réaliser un atterrissage dans le cockpit sans être lui-même aux commandes avant de pouvoir y prendre ses marques. Il pourra ensuite être autorisé à s’y poser en compagnie d’une pilote lui-même expérimenté sur le terrain. C’est le cas sur certains aéroports n’ayant pas de guidage, lorsque l’on ne peut pas s’aligner ou que le terrain n’est pas visible très longtemps à l’avance. C’est par exemple le cas sur un aéroport comme La Réunion où, en fonction de la piste utilisée, il n’est pas toujours possible de s’aligner dès le virage final, comme on le voit sur cette procédure d’approche :
Une montagne (en gris) se trouve dans l’axe de l’une des pistes, l’avion doit donc faire un virage une fois cette montagne passée afin de se trouver parfaitement aligné sur l’aéroport. Ce type de virage n’est pas dangereux quand le pilote s’y attend, c’est pourquoi un minimum de connaissances du terrain est nécessaire.
Il existe également des aéroports comme Madère (ci-contre) qui cumulent plusieurs particularités. D’abord la piste est surélevée par rapport au niveau de la mer, ce qui signifie que l’altimètre utilisé par les pilotes pour connaître leur hauteur ne leur donnera pas une hauteur par rapport à la piste mais par rapport au niveau de la mer… On n’atterrit donc pas à 0 mètres de hauteur par rapport à la surface juste avant le terrain. Cet aéroport a par ailleurs une très mauvaise réputation car sa piste était à l’origine particulièrement courte, seulement 1600m… mais ce n’est plus le cas aujourd’hui ! Comme vous pouvez le voir, le terrain a été prolongée pour plus de sécurité et de confort : la piste mesure aujourd’hui presque 2800m ce qui permet à tous les types d’avions de s’y poser.
3) Les facteurs défavorables au décollage
Il existe néanmoins des conditions qui sont défavorables à la portance des avions (la portance est le phénomène qui « aspire » l’avion vers le haut quand l’air s’écoule sur ses ailes). Le premier est lié à la chaleur : plus il faut chaud et plus l’air est dilaté. S’il est dilaté, il est moins dense et le courant d’air que l’on rencontre lorsqu’on avance est moins fort que s’il faisait froid. De la même manière, la pression atmosphérique diminue avec l’altitude. Des aéroports situés à plusieurs milliers de mètres d’altitude réduisent ainsi les performances de l’avion… Logiquement, quand on monte il fait plus froid, mais parfois on décolle d’un aéroport à la fois haut et chaud, ce qui double les éléments défavorables.
Lorsque l’on décolle d’un terrain très chaud (Las Vegas, Dubaï…) ou situé en haute altitude (Bogotá a fait la Une des médias cette semaine), il est donc possible que la portance de l’avion soit moins forte qu’en décollant d’un aéroport classique. Pour compenser ce manque de performance, on peut soit réduire le poids de l’avion (en emportant moins de fret, moins de passagers ou moins de carburant, ce qui oblige à faire une escale), soit accélérer plus fort au moment du décollage, soit attendre que la température baisse en décollant par exemple après la tombée de la nuit. Sur Boeing 747, une hausse de température de seulement 1°C peut ainsi faire baisser de 1,5 tonne la masse maximale de décollage autorisée pour l’avion ! Le tableau ci-dessus fait apparaître ces variations de performances. Il est donc toujours possible de compenser une faible portance, d’autant que des facteurs comme la pression atmosphérique ou la température ne nous font pas de surprise en variant en quelques secondes.
4) Et concernant les cas les plus inquiétants d’après les forums ?
Tenerife garde la mauvaise réputation liée à sa première implantation… En effet, le premier aéroport de l’île avait été positionné dans un micro-climat défavorable avec beaucoup de vents changeants, mais un nouvel aéroport a été inauguré à la fin des années 70 ! Depuis 40 ans, certains passagers continuent donc à s’inquiéter en pensant que ces mauvaises conditions sont encore valables.
Pour Osaka, il n’y a absolument rien à craindre, l’aéroport a été construit dans les années 90, il est impressionnant par son positionnement sur l’eau (photo ci-contre). Il s’agit d’une île artificielle construite spécialement pour l’aéroport, mais le terrain est long, sans dénivelé, avec peu de vent… Rien à dire donc !
On pourrait ainsi donner de nombreux exemples d’aéroports inquiétants et sur lesquels des rumeurs circulent, mais une chose doit rester gravée dans votre mémoire : si les avions desservent cet aéroport, alors c’est qu’il est fiable, bien plus sécurisé qu’un court trajet sur une autoroute 🙂
Bonjour,
Pour compléter la très bonne explication de Xavier j’ajouterai 2 commentaires:
– la durée du roulage au sol au décollage, surtout sur long courrier peut-être un facteur de crainte car on peut avoir l’impression qu’on ne décollera jamais. Xavier a bien expliqué les facteurs extérieurs qui agissent sur le décollage, mais il y a facteur peu connu du passager. C’est la poussée demandée au moteur lors du décollage. On ne décollage pas toujours à la poussée maximale des moteurs. Quand la masse et conditions du jour ne nécessitent pas cette pleine poussée, on règle la puissance des moteurs à une poussée juste nécessaire pour décoller l’avion. Pour illustrer rapidement avec le tableau du paragraphe 3, dans la colonne piste 2500 m s’il fait réellement 20° dehors, la masse limite est de 77,8 tonnes. Mais si ce jour là, on ne pèse que 72 tonnes, on réglera la poussée des moteurs comme s’il faisait 48° C dehors (dernière case du tableau)
– l’effet de la température réelle extérieure a été expliqué par Xavier. Pour illustrer , à Dubaï l’été au matin, la température monte très vite et à chaque degré de température en plus par rapport à ce qui a été estimé et calculé, c’est 2,2 tonnes de moins pour la masse maxi du décollage d’un B 777. Pour être complet, en été à Dubaï, la pression atmosphérique est aussi basse que lors d’une belle dépression en France ce qui combiné avec l’effet température fait que c’est comme si l’aéroport était à 150 m d’altitude avec la relative baisse de performance associée.
Merci pour ce complément 🙂
D’ailleurs, pour les passagers anxieux, une accélération moins forte signifiera des sensations plus douces…
Comme l’écrit Vélina : nous devons accepter la situation telle qu’elle est, pas telle qu’on l’imagine.
Je viendrai donc de temps en temps pour techniquement démonter les fausses idées et légendes.
Juste pour info, les deux aéroports de Tenerife (TFN l’ancien, situé au nord et TFS le nouveau sur la côte sud est) sont encore en fonctionnement et reçoivent chaque jour des dizaines d’avion.
TFN traîne sa mauvaise réputation surtout de la fameuse catastrophe des 747 KLM et Pan Am, mais celle ci au dela du brouillard très fréquent sur cette partie de l’île, était du, comme tjs, à un enchaînement très particulier de nombreuses circonstances.
A ce jour TFN recoit les vols qui viennent de la péninsule et tous les vols inter îles. TFS tous les charters et tous les vols venant d’Europe hors Espagne.
Ils sont tous les deux très surs et agréables (petits donc efficaces) et je prend en moyenne 50 vols par année depuis l’un et l’autre, sans ne jamais avoir connu aucun souci météo.
Un grand merci pour cet éclairage et votre témoignage !
Si je peut me permettre pour la Réunion ce qui est en gris est la ville de St Denis et non la montagne qui se trouve avant ( dégrade de marron montrant le relief ) cette trajectoire et certe un évitement mais du survol de la ville et non de la montagne dont la séparation de sécurité et exercée par le suivit de l’ILS jusqu’au 3.0 nm ( ou la « Guard Radial » qui ne faut pas dépasser ) . Je tiens a dire également que elle est rarement utilisée, la 14 avec l’ILS étant conventionnellement utilisée, les rares fois ou une RNAV se fera en 12 sont si jamais l’ILS est désactive ou forte influence ( dans ce cas un trafic pourra faire la RNAV en 12 derrière un trafic sur l’ILS 14 )
Merci pour ces éléments complémentaires Samuel !