Les avions ont toujours besoin d’avoir de l’air qui s’écoule sur leur aile afin de voler. Il faut donc connaître précisément la vitesse de déplacement de l’avion dans l’air afin de s’assurer de la vitesse de l’air. On calcule pour cela la différence de pression mesurée entre deux capteurs : un capteur de pression dynamique appelé « sonde pitot » (pour regarder la force du vent) et un capteur de pression statique (pour connaître la pression atmosphérique à cette altitude). Pour faire simple, imaginez que vous êtes en voiture et que vous mettez votre main à l’extérieur de la voiture : plus le vent pousse sur votre main, plus vous allez vite. Mais en altitude la densité de l’air est plus faible, et si vous roulez sur une route de montagne à 3000 m d’altitude, la force du vent pourra être jusqu’à 30% inférieure à ce que vous pourriez mesurer en plaine à la même vitesse ! On utilise donc au minimum 3 couples de capteurs de pression statique / dynamique afin d’avoir toujours une information de vitesse fiable.
Imaginons maintenant qu’un capteur se bouche ou arrête de fonctionner. L’ordinateur de bord compare en permanence les informations issues des trois capteurs et va identifier que l’un d’entre eux divague complètement, il va donc l’exclure et se contenter d’utiliser les deux autres capteurs et l’information restera fiable. Si deux des trois capteurs ne fonctionnent plus, alors la situation devient complexe car l’ordinateur ne sait pas quel est le capteur fiable, et les avions modernes vont aller pouvoir utiliser des systèmes de vitesse de secours. Les Airbus sont par exemple équipés du « Back Up Speed Scale » qui donne une indication de vitesse sans aucune sonde pitot à partir de l’angle mesuré sur les sondes d’incidences. Si l’avion va vite, le vent vient bien de face, s’il est lent, le vent vient davantage du bas. L’objectif étant bien évidemment de ne pas avoir à utiliser ce mode dégradé, les pitot sont protégés. On va par exemple les cacher lorsque l’avion est au sol afin de s’assurer qu’un insecte ne vienne pas y déposer des œufs (ce qui a provoqué le crash du vol Birgenair en février 1996), ne pas les couvrir et éviter de le laisser geler…
Or en vol de croisière il fait -50°C, autant dire qu’en atmosphère humide il est possible de voir des cristaux de glace se former. Pendant des décennies, les pilotes devaient donc activer des systèmes appelés des chauffe-pitots capables de maintenir les capteurs à une température positive malgré le froid intense. Suite à plusieurs accidents lié à des « oublis » d’activation du givrages (Northwest Orient Airlines en décembre 1974, Austral Lineas Aéreas en octobre 1997) ou à des dysfonctionnements (le Rio-Paris en juin 2009, décryptage en suivant ce lien), on a fait en sorte que le chauffe-pitot s’activent automatiquement sur tous avions Airbus et Boeing sans attendre une demande du pilote. Pour être clair : un avion dont un moteur s’allume va automatiquement lancer les chauffe-pitots, impossible d’oublier d’activer cette sécurité (et s’il fait froid déja au sol, les pilotes peuvent même « forcer » le chauffage). Pour vous donner un ordre d’idée des priorités, les chauffe-pitot continuent à fonctionner même en cas d’urgence nécessitant une réduction maximale de la consommation électrique !
Ajout suite à question sur le groupe Facebook : « Pourquoi n’utilise-t-on pas les GPS qui donnent une vitesse précise à 10 km/h près ? » : les GPS nous donnent une vitesse de déplacement par rapport au sol, ce qui ne correspond pas à la vitesse de l’air autour de l’avion. Imaginons que l’avion vole à 800 km/h mais qu’il se trouve dans un courant jet qui se déplace à 100 km/h. Dans la masse d’air, l’avion se déplace bien à 800 km/h, mais la vitesse de l’avion par rapport au sol est de 900 km/h (voir image d’illustration ci-contre)… impossible donc de savoir si l’air qui s’écoule sur nos ailes va à la bonne vitesse !
Revenons à l’information du jour : le crash d’un Antonov 148 de la compagnie Taratov serait lié au gel des sondes pitot. Comment est-ce possible ? D’après les données disponibles, les pilotes n’auraient pas activé leur système de chauffage des sondes… car sur les Antonov, cela n’est pas automatique et il faut réaliser cette action manuellement. Alors que l’avion est en montée, le gel des pitots génère des incohérences de vitesse, avec l’affichage d’une vitesse nulle sur les deux indicateurs… En réalité l’avion volait correctement, les moteurs poussaient comme prévu et la vitesse était bonne, l’erreur vient des capteurs. Mais avec des vitesses affichées trop faibles, il est probable que les pilotes cherchent à mettre l’avion en descente.
Je n’ai malheureusement pas réussi à contacter un spécialiste des Antonov (cet appareil n’a été construit qu’à une vingtaine d’exemplaires pour des compagnies en Russie, à Cuba et en Corée du Nord), mais il semble probable que le système de pilotage automatique se déconnecte pour laisser les pilotes reprendre l’avion en main dans de telles conditions. La déconnexion du pilote automatique rend l’avion plus difficile à manier, il n’y alors a plus de calculateur entre la main du pilote et le mouvement des gouvernes. Une action vive sur les commandes peut donc provoquer des variations importantes et l’avion va s’orienter vers le sol.
Un deuxième élément peut renforcer la mise en descente. Les pilotes pensent alors peut-être que les moteurs ont une poussée trop faible, voire nulle. En se mettant en descente, ils ne s’attendent donc pas que les moteurs génèrent de la poussée, ce qui peut provoquer un « couple piqueur » (ce qui signifie que le nez de l’avion s’abaisse plus qu’attendu), surtout si les moteurs sont assez haut par rapport au centre de gravité de l’appareil. Autrement dit, on cumule une mise en descente sur un avion difficilement pilotable et sans vitesse fiable avec des moteurs qui amplifient la mise en descente. Cela pourrait expliquer cet angle de 35° vers le sol (un atterrissage se fait autour de 3°)… L’avenir nous donnera plus d’informations, mais les pilotes consultés évoquent principalement la faute des pilotes qui n’ont pas activé ce chauffe-pitot, les spécificités de l’avion, sa forme « ailes hautes » et ses sécurités inférieures aux standards rencontrés sur Airbus ou Boeing. Ne transposez donc pas cet accident sur les vols que vous pourrez réaliser sur des avions au départ d’Europe ou de zones fiables, la sécurité n’y est absolument pas remise en cause par cet accident.