La météo peut-elle faire tomber un avion ? Décryptage du crash AH5017

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La météo peut-elle faire tomber un avion ? Décryptage du crash AH5017
Sécurité aéronautique
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2/9/24 13:05
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Xavier Tytelman

Ecrit le 26 Juillet 2014

La météo peut-elle faire tomber un avion ? La question est simple, mais nécessite une réponse compliquée. On peut clairement considérer que le risque est nul avec un avion moderne, mais une accumulation de facteurs ont déjà, dans des situations très rares, amené à l’accident.

Si vous regardez le ciel, que voyez des nuages et en déduisez qu’il vaut mieux prendre votre voiture pour votre trajet, vous avez tout faux. Il n’existe qu’un seul type de nuage qu’il est interdit de traverser pour un avion : le cumulonimbus ou Cb. Les météorologues présents dans les tours de contrôle et les cartes utilisées dans la préparation des vols permettent aux pilotes de déterminer le trajet qui évitera ces nuages, et l’avion prendra une quantité de carburant adaptée au trajet choisi, parfois plus long.

Le Cb est un nuage à grande extension verticale dans lequel on va rencontrer des cisaillements de vent très forts, des grêlons de grande taille, des pluies violentes, des possibilités de givrage ainsi que des orages. Premier réflexe pour le pilote : éviter de rentrer dans ces nuages, ce que les radars météo permettent en donnant un préavis de plusieurs centaines de kilomètres. Sur certains avions de génération précédente et dans lesquels les systèmes n’ont pas été mis à jour, le radar est myope : il ne donne que la première ligne de nuage et le pilote ne peut pas savoir ce qu’il se passe dans la profondeur.

Ces éléments permettent néanmoins au pilote de contourner la zone nuageuse, cela arrive des centaines de fois par jour sans que le moindre risque ne soit pris par l’avion. Le McDonnell Douglas MD83 d’Air Algérie qui s’est crashé au Mali a annoncé qu’il allait contourner une telle zone : rien de plus banal. Il avait moins de 20 ans, ce qui n’est pas vieux pour un avion, mais possédait certainement un radar d’origine. S’il s’est aventuré dans une « rue » entre deux cumulonimbus au lieu de contourner l’ensemble de la région, il est possible qu’il ait pénétré un Cb par erreur.

(Accessoirement, rappelons que l’âge d’un avion n’a pas d’incidence sur sa sécurité puisque ses systèmes, dont le radar météo, peuvent être mis à jour… ne rebroussez donc pas chemin si votre avion a 25 ans !)

Radar météo d'un Boeing 737-NG, on perçoit bien les masses orageuses à éviter.Merci à Jean-Christophe pour la photo.

Radar météo d’un Boeing 737-NG, on perçoit bien les masses orageuses à éviter.
Merci à Jean-Christophe pour la photo.

Imaginons maintenant qu’un avion entre dans un cumulonimbus par erreur. Et je ne parle pas du cumulonimbus que vous rencontrerez à nos latitudes, je parle des pires cumulonimbus imaginables que l’on ne rencontre que dans des régions précises, en général autour de la zone de convergence intertropicale. Prenons les risques du Cb un par un :


– la foudre n’est pas un risque en aéronautique, les avions sont foudroyés en moyenne tous les 1000 heures de vol et cela ne pose pas de soucis ;


– les grêlons de grande taille ont déja provoqué des dommages sur le pare-brise d’avions, ils ont aussi provoqué des enfoncements sur la carlingue, mais pas au point de provoquer directement un crash (Airbus a d’ailleurs breveté un avion sans pare-brise qui se piloterait via des écrans, mais sa mise en œuvre risque à mon avis de rencontrer quelques réticences des passagers et des pilotes) ;


– le givrage est un risque réel car il peut modifier le profile de l’aile et donc sa portance, mais tous les avions de ligne ont aujourd’hui les moyens de faire fondre le givre, notamment en réinsufflant l’air chaud des réacteurs vers les zones les plus exposées ;


– les vents et les turbulences, quels que soient leur niveau, ne doivent pas provoquer de rupture directe de la structure d’un avion. On m’a redonné plusieurs fois les mêmes exemples sur les plateaux télé (le crash Alaska Airlines il y a 15 ans par exemple sur un avion similaire), mais dans ce cas l’avion était avant tout mal maintenu, alors que l’AH5017 était entretenu en Europe avec les normes européennes… Il existe néanmoins des facteurs de charge limites pour chaque appareil, mais les avions sont certifiés pour supporter les pires turbulences du monde. Rappelons aussi que les turbulences que vous rencontrerez ont beau être désagréables, elles n’engendrent absolument aucun risque pour votre avion, si ce n’est celui de tomber ou de se cogner si vous n’êtes pas attaché ;


– il est arrivé qu’une accumulation d’eau dans des moteurs provoque l’extinction de ceux-ci, mais dans ce cas l’avion plane plusieurs dizaines de minutes, laissant aux pilotes la possibilité d’avertir le sol de leur situation (ce qui n’a pas été le cas de l’AH5017). Accessoirement, les moteurs ont été améliorés pour résister aux pires pluies du monde ou à la fonte de la grêle dans leurs chambres de combustion ;


– les vents ascendants et descendants peuvent potentiellement entraîner un avion vers le haut ou vers le bas, mais pas l’entraîner jusqu’au sol puisque l’on vole à environ 10.000 mètres et le vent change d’orientation en se rapprochant du sol, il « s’aplatit » si l’on peut dire. Accessoirement, un avion vole au moins à 800 km/h, et aucun coup de vent n’est assez fort pour le rattraper ou l’empêcher de s’éloigner.

Alors quelle cause pour cet accident ? Tant que les enregistreurs de vol (ou boites noires) n’auront pas parlé, on n’aura aucune certitude. Mais il s’agira certainement d’une accumulation de facteurs, voici au moins quelques pistes à conserver ou à exclure (il s’agit encore, je le répète, d’une analyse personnelle).

1) Le décrochage

On parle beaucoup de décrochage, cette situation exceptionnelle pour un avion de ligne et dans laquelle l’avion n’a plus assez de vitesse pour entretenir la portance nécessaire à son vol, ce qui provoque une descente tellement progressive qu’elle n’a par exemple pas été ressentie par l’équipage du vol Rio-Paris. Ce fameux accident a vacciné tous les pilotes du monde, ils ont du repasser au simulateur pour apprendre à reconnaître et sortir de cette situation et un scénario similaire est à mon sens inimaginable au vu des procédures mises en place. Accessoirement, la zone du crash est très réduite et les débris si petits qu’il est probable que l’appareil soit arrivé jusqu’au sol à pleine vitesse. Dans le cas du décrochage, la vitesse verticale de chute est inférieure à 220 km/h, et des morceaux d’avion bien plus importants auraient été retrouvés. J’exclus donc ce type de décrochage lent et progressif.


2) La désorientation spatiale de pilotes

Les avions sont équipés de tous les systèmes permettant de voler sans visibilité extérieure, c’est ce qu’on appelle le vol IFR et tous les pilotes sont formés pour cette situation. Un avion est donc fait pour être piloté sans regarder dehors (même en phase d’atterrissage grâce à un système appelé ILS). Mais si un pilote est privé repères visuels extérieurs et qu’il rencontre une zone de turbulences extrêmes, il peut totalement perdre sa perception de l’espace, voire ne plus être en mesure de lire ses instruments. De nombreux crashs d’avions de chasse sont malheureusement dus à cette situation, en mettant leur avion en descente sans s’en rendre compte. Il existe des précédents de crash pour un avion de ligne lié à ce phénomène de désorientation spatiale (Kenya, 2007), mais ils sont général observés en basse altitude. Cette piste ne peut néanmoins pas être exclue.

Aujourd’hui plus que jamais il faut rester prudent quant au crash d’Air Algérie, d’autant que les autres pistes (terroristes par exemple) ne sont pas exclues. Prenez réellement du recul sur la situation, Air Algérie est et reste une très bonne compagnie et on ne saura réellement RIEN tant que les boites noires n’auront pas parlé.

Si le facteur météo est réellement à l’origine de l’accident, alors les conséquences peuvent être multiples :


– les radars météo modernes permettent de voir dans la profondeur des masses nuageuses. S’il est trop compliqué ou coûteux de modifier tous les radars des avions, il est par contre possible de les équiper de systèmes de cartographie météo par satellite, qui permet à un pilote de voir la profondeur des nuages. Ce système est déja répandu dans les jets d’affaire, et présenterait l’avantage d’une mise à jour en temps réel, ce qui n’est pas le cas des cartes du dossier météo.


– lorsqu’elles les masses orageuses sont denses, il pourrait être rendu obligatoire de totalement les contourner. Ce principe de précaution s’avérerait totalement inutile dans 99,9999% des cas puisque des milliers d’avions rencontrent des orages chaque jour sans problème, mais il est fort probable que les modifications techniques évoquées plus haut ne répondent pas aux attentes des voyageurs et des médias.

Ajout du 1er février 2015 : Il s’avère que l’avion n’est même pas rentré dans le cumulonimbus et qu’il n’a pas subi de turbulences. La question de la météo s’est également posée pour le crash du vol Air Asia de décembre 2014, mais finalement elle n’était pas en cause, c’est la prise d’altitude de l’avion et la déconnexion simultanée d’un système de protection anti-décrochage qui a provoqué l’accident. La météo est toujours le premier élément pointé du doigt par les médias, au final les enquêtent mènent toujours à d’autres réponses…

Plus que jamais, volez tranquilles. Nous vivons une succession de drames pour l’aéronautique qui sont d’autant plus marquants qu’ils sont rapprochés et ont tendance à faire oublier la fameuses phrase « l’avion est le moyen de transport le plus sur du monde ». Un avion qui se fait tirer dessus comme en Ukraine ne change rien à la sécurité de votre vol puisque l’on évite cette zone et que l’on sait que les terroristes ne possèdent pas ces missiles. Un avion turbopropulsé (à hélice) qui a peut-être mal négocié une approche pendant un typhon à Taïwan ne change rien à votre voyage.

Et enfin, quelle que soit la cause de ce dernier crash, prenez du recul. Vous pouvez être surs que tout sera fait pour assurer un sécurité maximale. D’abord parce que vous êtes dans un avion et qu’il n’y a aucun endroit au monde dans lequel vous serez plus en sécurité (20 000 morts par an d’accidents de la vie courante rien qu’en France). Mais aussi parce que les pilotes sont dans l’avion, et qu’ils sont les premiers à engager leur sécurité lorsqu’ils prennent une décision. Ce sont des hommes et des femmes comme vous, et ils veulent tout comme vous revoir leur famille le soir.

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