Ecrit le 12 Aout 2019
Avant chaque vol, l’un des pilotes fait le tour de son avion pour une vérification. La check list se terminera ensuite à deux, dans le cockpit
Très souvent, les participants du stage contre la peur de l’avion posent la même question : « est-il vrai que les pilotes décollent parfois malgré des pannes ? ». La réponse est en réalité un grand OUI, car contrairement à une idée reçue il ne suffit pas d’une panne pour mettre un avion en danger. Il y a ainsi chaque année des centaines d’incidents techniques prévus par les concepteurs d’avions et parfaitement maîtrisés par les pilotes.
Tout ce qui est nécessaire au bon déroulement d’un vol est disponible en plusieurs exemplaires, c’est le concept de la redondance, l’information de vitesse peut par exemple être connue via des capteurs dédiés appelés les sondes-pitot, elles existent en au moins 3 exemplaires.
En cas de dysfonctionnement, il est possible de se reposer sur les sondes d’incidence qui vont fournir une information de secours un peu moins précise mais qui permet de continuer à assurer la conduite de l’appareil. Accessoirement, tous les systèmes importants à la conduite du vol sont conçus pour subir moins d’une panne par milliard d’heure d’utilisation, la panne de plus d’un capteur est donc hautement improbable, et les pilotes s’entraînent plusieurs fois par an à gérer toutes les situations en simulateur de vol n’auront probablement jamais l’occasion d’appliquer ces automatismes chèrement appris (et c’est tant mieux). Mais puisqu’il existe une redondance, il existe aussi une série de pannes qui n’empêchent pas de décoller, imposant parfois simplement des restrictions opérationnelles, c’est la minimum equipment list ou « MEL ».
Les capteurs de pression atmosphérique sont absolument indispensables
Il serait totalement impensable (et interdit) de quitter le parking si l’un des systèmes élémentaires de l’avion était indisponible : circuits de pression hydraulique, fonctionnement moteurs, alarmes et affichages du cockpit, pressurisation de la cabine… Certains équipements sans lien direct avec le fonctionnement de l’avion sont également obligatoires, comme la trousse médicale, les extincteurs manuels ou même la ceinture de sécurité des quatre sièges du cockpit, même si seulement deux sont utilisés en vol.
Viennent ensuite un certain nombre d’équipements dont on peut se passer sous restriction. Quelques exemples :
Les aérofreins sont des parties mobiles situées au-dessus de l’aile qui permettent un freinage aérodynamique complémentaire aux freins des roues et à la capacité des moteurs de souffler vers l’avant
Quand les roues d’un avion touchent le sol à l’atterrissage, les aérofreins se déploient automatiquement sans aucune action du pilote (il s’agit de la partie mobile située sur le dessus de l’aile), c’est l’auto-speedbrake. Sur Boeing 737, si cet automatisme ne fonctionne pas, les pilotes vont devoir actionner manuellement les aérofreins comme ils le font en vol quand ils souhaitent perdre de l’altitude rapidement. L’avion freine donc exactement de la même manière, mais le fait que cette action soit manuelle peut retarder son exécution de quelques petites secondes, prolongeant d’autant la distance de freinage. Dans ce cas, les pilotes prennent en compte les paramètres de vol (poids de l’avion, température, humidité de la piste…) et l’avion a une restriction : il n’aura par exemple plus le droit de se poser sur une piste mesurant moins de 1900 mètres, comme Dortmund ou Southend.
Accumulation de givre sur le bord d’attaque d’une aile d’avion
En vol, il peut être nécessaire d’activer un système antigivre pour chauffer les bords d’attaque de l’aile et les entrées d’air des moteurs dans certaines conditions atmosphériques. Si les capteurs nécessaires à la détection de ces conditions ne fonctionnent pas, le système antigivre va devoir être activé pendant tout le vol, ce qui consomme du carburant supplémentaire. Dans ce cas, la commande d’essence devra être accrue pour prendre en compte ce paramètre.
Il est possible de décoller malgré un radar météo en panne, mais uniquement si aucun cumulonimbus ni condition givrante n’est prévue sur le trajet…
Si l’une des petites lumières qui font des flashs en bout d’aile ne fonctionne pas, l’avion ne pourra réaliser que des vols de jour
On peut décoller sans le window heat, mais il sera alors interdit de dépasser le niveau de vol FL250, ce qui limite l’avion à des trajets relativement courts.
On peut aussi décoller sans système de production électrique auxiliaire (APU), mais dans ce cas il faudra se reposer sur des équipements au sol qui ne sont pas systématiquement disponibles.
Il y a enfin des pannes qui ne provoquent aucune restriction opérationnelle, pour des systèmes qui ne sont pas utilisés en vol ou dont la redondance est suffisante. On peut ainsi décoller avec une des deux boites-noires en panne, avec un four ou des toilettes HS, avec un marquage lumineux au sol éteint (mais pas deux de suite), et même avec une pompe à carburant inopérante ! Cela paraît anxiogène, mais on en a en fait plusieurs dans chacun des réservoirs répartis dans l’avion (on en a toujours plusieurs), et l’essence peut aussi s’écouler simplement par son propre poids si l’une des pompes est hors service. Il est donc obligatoire de prendre davantage de carburant pour que la pression soit suffisante en cas de la panne de la deuxième pompe d’un réservoir, ce sera un minimum de 3400 kg dans le réservoir concerné sur un B737, et on devra mettre la même surcharge de carburant sur le réservoir opposé pour que la charge soit symétrique.
Il ne s’agit ici que de quelques exemples parmi des centaines, la MEL de l’Airbus A380 fait pas moins de 2120 pages ! Il est donc tout à fait possible de décoller puis réaliser un trajet complet malgré une panne, et si un média peut faire ses gros titres de cette situation (et inquiéter ainsi les millions de personnes qui ont peur de l’avion), il n’y a en réalité pas le moindre risque. Il ne faut donc pas sursauter ou éviter une compagnie qui décollerait malgré une panne, il faut simplement que la MEL soit respectée. Laissez donc les équipages gérer leur visite pré-vol et leur checklist, ils connaissent parfaitement l’état de fonctionnement de chacun de leurs équipements et les règles à suivre pour chacun. De votre côté, voyagez simplement heureux, laissez ceux dont c’est le travail s’inquiéter du bon déroulement du vol, ils le font très bien
*Article rédigé suite aux demandes émises par les anciens stagiaires lors de la formation par correspondance de suivi réalisée le 8 août 2019