Deux philosophies de pilotage opposent totalement Airbus et Boeing. Depuis l’A320, tous les Airbus possèdent une protection du domaine de vol, empêchant certaines manœuvres dangereuses comme un virage trop incliné, une incidence trop élevée ou une vitesse trop basse. Ce système a évité plusieurs accidents et a été déterminant lors de l’amerrissage du fleuve Hudson, où il a empêché un décrochage fatal. Cependant, en cas de panne, il peut générer des comportements inappropriés, comme en 2012 sur un A330 d’Eva Air, où les pilotes ont dû désactiver les calculateurs pour reprendre le contrôle en loi directe.
Boeing a toujours privilégié une approche inverse sur son 737 : le pilote est averti d’une situation dangereuse (vibrations du manche, résistance accrue), mais aucune automatisation ne s’oppose à ses décisions. Cette vision a été mise en cause après le crash du 737 MAX de Lion Air en octobre 2018.
Le crash a révélé l’existence du MCAS, un système anti-décrochage ajouté par Boeing. L’avionneur avait estimé que les pilotes n’avaient pas besoin de le connaître, puisque son activation était censée être progressive et autonome. En cas de défaillance, les pilotes devaient appliquer une procédure connue depuis les années 60 (déconnexion du compensateur), mais encore fallait-il savoir qu’un ordinateur modifiait leurs commandes. Ce manque de transparence a provoqué la colère des pilotes, conduisant à une formation complémentaire après le premier accident.
→ Plus de détails dans cet article détaillé et cette explication technique.
Autre faille critique : le MCAS repose uniquement sur une sonde d’incidence (AOA) pour s’activer. Si cette sonde envoie des données erronées, le MCAS s’active à tort. Un système sûr aurait utilisé plusieurs capteurs en redondance pour éviter cette erreur.
Certaines compagnies, comme Southwest, ont ajouté un indicateur d’angle d’attaque pour détecter rapidement un problème.
→ Lire l’article sur cette modification : ici.
Des enquêtes ont révélé que le MCAS pouvait corriger jusqu’à 8 degrés d’incidence toutes les 10 secondes, contre 2° annoncés initialement. Cela signifie que les pilotes devaient lutter constamment contre les actions du système, rendant le vol ingérable sans une coupure manuelle du MCAS.
→ Source : Enquête de The Seattle Times.
Les nouveaux avions sont certifiés par les autorités de régulation comme la FAA aux États-Unis et l’EASA en Europe. Toutefois, par manque de ressources, une partie de la certification est laissée à l’avionneur lui-même. Déjà en 1993, un rapport du Government Accountability Office s’inquiétait du fait que Boeing réalisait 95% de la certification du 747-400, contre 70% dans les années 80.
Avec la pression exercée par l’énorme succès de l’A320 Neo (1 256 commandes en un an), Boeing a accéléré le développement du 737 MAX pour rester compétitif. Certains s’interrogent sur les liens trop étroits entre Boeing et la FAA.
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Le 737 MAX devrait recevoir une mise à jour dans les 10 jours pour corriger ses défauts. La version précédente, le 737 NG, a une fiabilité éprouvée et continue de voler sans problème. Lorsque le MAX reprendra ses vols, il devra prouver qu’il atteint le même niveau de fiabilité.
Il est certain que des enquêtes approfondies auront lieu sur la responsabilité de Boeing et de la FAA. À terme, ce scandale pourrait mener à un renforcement des procédures de certification et à une meilleure indépendance des régulateurs.