Il y a quelques années, des stagiaires nous avaient demandé si le scénario du film Flight était crédible, avec cette question : une personne qui a peur de l'avion peut-elle aller voir le film. Dans quelques jours, c'est le film Sully de Clint Eastwood qui sort en salle et celui-ci est basé sur une histoire vraie : l'amerrissage d'un Airbus A320 sur le fleuve Hudson après une double coupure moteurs. Le film est excellent et Tom Hanks y tient l'un de ces meilleurs rôles... Mais d'un point de vue aéronautique et sécurité aérienne, il contient quelques imprécisions non négligeables qui méritent un petit décryptage.
Le scénario est simple car réel. Le 15 janvier 2009, un Airbus A320 de la compagnie US Airways décolle de l'aéroport new-yorkais de La Guardia en direction de Charlotte en Caroline du Nord. Après un décollage sans soucis à 15h26, l'avion rencontre une minute plus tard un groupe d'oies Bernaches du Canada (l'un des plus gros oiseaux volants du monde, oiseau qui n'existe pas en dehors de cette région), en ingère au moins 4 à la fois dans ses deux réacteurs (certainement davantage), provoquant une perte de poussée alors qu'il se trouve à moins de 2.800 pieds... L'avion n'a plus de propulsion mais continue à monter jusqu'à 3.070 pieds avec son seul élan (oui, même sans ses moteurs l'avion continue de prendre de l'altitude !), puis c'est le début d'un vol plané de plus de 3 minutes au-dessus de Manhattan puis en direction du fleuve Hudson dans lequel les pilotes vont réaliser un amerrissage, sauvant les 155 occupants de l'appareil.
L'ensemble du film tourne ensuite autour de l'enquête, la difficile gestion psychologique de l'événement par les pilotes et l'accusation de l'administration américaine envers les pilotes qui auraient du / pu faire demi-tour pour se reposer en planant sur leur aéroport de décollage. Le commandant de bord, Chesley Sullenberger, est décrit comme un héro au sang froid impeccable mais incompris, avant d'être universellement salué.
Mais l'attitude des pilotes est-elle réellement si irréprochable ? Toutes les simulations montrent que le choix de l'amerrissage a en effet été le bon et que les autres scénario n'auraient pas eu la même heureuse conclusion. Cela est notamment lié aux quelques 35 secondes qui ont été nécessaires avant que l'équipage prenne conscience de la situation. Mais malgré ce pilotage réussi, Sully a commis plusieurs erreurs.
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Cette carte Jeppesen humoristique mais fidèle à la réalité retranscrit l'évolution de l'avion, de la perte des moteurs (point "Goose") à l'amerrissage (point "splash"). On se rend compte à quel point un avion plane bien ![/caption]
Pour voler, un avion doit conserver une certaine vitesse qui permet de garder un écoulement d'air sur le dessus de son aile. Si la vitesse devient trop lente, l'angle d'arrivée de l'air sur les ailes ne permet plus d'avoir une portance suffisante, l'avion décroche alors et c'est l'accident assuré lorsqu'on se trouve à si basse altitude. Il est donc indispensable de maintenir une certaine vitesse, ce qui nécessite de garder le nez de l'avion vers le bas pour planer correctement et ne pas décrocher. Sully a fait tout le contraire, il a tiré sur son manche "jusqu'à la butée" pour donner un ordre de cabrer... Heureusement pour les passagers, ils volaient sur un Airbus, un avion de 4ème génération possédant une protection de son domaine de vol, ce qui signifie que l'avion refuse d'obéir aux ordres dangereux (comme de tirer sur le manche alors que les moteurs sont en panne). L'avion va donc imposer aux pilotes un angle de descente permettant de maintenir l'avion à une vitesse lui permettant de planer, alors que l'appareil aurait décroché si les ordres du pilote avaient été exécutés.
Vient ensuite l'amerrissage. Une fois de plus, l'avion vole à la vitesse minimale et descend selon un angle d'environ 3°. Lorsque l'appareil s'approche de la piste de l'aéroport (ou de la surface de l'eau dans notre cas), les pilotes doivent légèrement tirer sur le manche pour changer l'angle de descente et ne pas taper trop fort sur le sol, cela s'appelle l'arrondi. Sauf que notre Airbus est déjà à la vitesse minimale et n'accepte pas de passer sous 130 nœuds, ce qui est déjà 40 nœuds (~75 km/h) trop lent ! Les ordinateurs refusent donc ce nouvel ordre du pilote qui aurait mené à un décrochage alors que l'appareil se trouve encore à 60m d'altitude... L'angle de descente n'est pas réduit, l'impact avec l'eau est d'une intensité 3 fois supérieure à ce que l'Airbus a été conçu pour subir, "provoquant des dégâts importants sur le fuselage et les plancher des zone cargo et passager, permettant l'entrée de l'eau dans l'avion". Les pilotes n'ont par ailleurs pas enclenché la manœuvre permettant de rendre l'avion plus étanche alors que cette procédure existe chez Airbus...
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On le voit, les portes arrières ne peuvent pas être ouvertes et les passagers vont devoir évacuer sur les ailes...[/caption]
Dans sa conception, l'appareil est conçu pour amerrir puis flotter et il est même prévu que ses moteurs se détachent lorsqu'ils touchent l'eau pour être plus léger. Mais à cause de cette faible vitesse, l'avion n'est pas étanche, seuls deux toboggans d'évacuation sont utilisables au lieu de quatre (ils sont aussi conçus pour servir de moyen de flottaison) et seul l'un des moteurs s'est détaché (l'avion est donc plus lourd que prévu et le poids est mal réparti). L'appareil va néanmoins flotter plusieurs heures et tout le monde sera évacué par les ferries alentour. Ouf !! Mais si vous échangez sur le "miracle de l'Hudson" avec des ingénieurs, ils vous diront que c'est l'Airbus qui a sauvé les passagers et non les pilotes... Si l'événement avait eu lieu sur un Boeing 737, l'avion aurait d'ailleurs accepté les ordres dangereux du pilote et aurait certainement décroché. [ajout suite à plusieurs questions : Un Boeing 737 ne possède pas de protection de son domaine de vol, mais le manche des pilotes devient de plus en plus lourd s'ils s'éloignent des conditions de vol optimal. D'après un pilote consulté, il est probable qu'un pilote de 737 aurait perçu son erreur de voler trop lentement grâce au poids du manche et qu'il aurait remis son avion en descente pour ne pas décrocher. Chez Airbus, c'est l'avion qui prend cette décision." On entre ici sur des débats assez technique, mais n'évitez pas les Boeing pour autant, la fiabilité de ces avions est irréprochable !]
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En haut, une image extraite du film Sully dans laquelle l'avion est en train de planer : on remarque que la RAT n'est pas visible. En bas, une RAT déployée.
Image FlickR de Russavia[/caption]
Le film compte également plusieurs détails qui devraient rassurer les spectateurs mais qui n'apparaissent pas. Par exemple, lorsque l'Airbus perd l'usage de ses moteurs et qu'il doit planer, une petite turbine se déploie toute seule pour fournir de la pression hydraulique. Celle-ci n'est pas évoquée et n'apparaît pas à l'image, alors qu'il serait rassurant de savoir qu'un avion possède une éolienne de secours capable de produire de l'énergie en cas d'urgence ! Il est également répété plusieurs fois qu'aucun amerrissage n'a été réussi auparavant, ce qui est totalement faux. C'est même l'exact contraire : aucun des amerrissages réalisés par le pilote sur un avion de ligne à réaction en train de planer n'a provoqué le décès d'un passager. Il y a certes eu moins d'une dizaine de tentatives depuis un demi-siècle donc les cas sont peu connus, mais les amerrissages du DC7 de Northwest en 1962, du Tupolev-124 près de Saint-Pétersbourg en 1963 ou du Boeing 737 de Garuda en 2002 sont autant de succès oubliés par les scénaristes.
Il faut également savoir que plusieurs conclusions ont été émises par le NTSB pour encore améliorer la sécurité aérienne après cet accident : nouvelle certification de résistance pour les moteurs, amélioration de la formation des pilotes, technologie de suivi du fonctionnement des moteurs (pour éviter les 30 secondes d'hésitation vécues par cet équipage), modification des check list existantes, amélioration des systèmes anti-oiseaux sur les aéroports et les avions, révision de la structure des avions, amélioration des procédures d'évacuation des passagers et des équipements de flottaison...
Pour ceux qui ont peur de l'avion et qui se demandent s'ils doivent aller voir le film, je dirais donc "oui mais". Les images sont toujours plus fortes que le rationnel et il est probable que ces scènes stressantes renforcent votre anxiété face à l'avion si vous en avez déjà peur. Néanmoins, en ayant lu et intégré les données de cet article, vous saurez comprendre et décrypter les événements plus froidement. Gardez à l'esprit les performances des avions modernes et les automatismes qui assurent notre sécurité ainsi que le sang-froid et la maîtrise des pilotes. Je pense que le principal point fort dans la scène de l'accident repose sur le réalisme de la situation dans le cockpit et en cabine : le calme et le recul sont toujours présents, les procédures réalisées par les hôtesses sont très opérationnelles... On est très loin de l'imaginaire collectif et du stress représenté dans les films catastrophe. Accessoirement, soyez convaincu que vous ne vivrez pas de catastrophe :)
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NB : j'ai pu participer à une projection en avant-première du film, merci à la communauté AvGeek et aux équipes de ce film pour l'excellent moment !