Qu’est-ce que le « décrochage » d’un avion de ligne

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Qu’est-ce que le « décrochage » d’un avion de ligne
Sécurité aéronautique
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22/8/24 23:01
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Xavier Tytelman

Ecrit le 10 Août 2014

Un Fokker 70 F-28 de KLM. L'empennage en T est la seule configuration qui permet le deep stall.

Un Fokker 70 F-28 de KLM. L’empennage en T est la seule configuration qui permet le deep stall.

Le décrochage est une situation mystifiée par les médias et sur laquelle les participants aux stages contre la peur de l’avion reviennent systématiquement. Voici donc quelques éléments qui devraient vous permettre de prendre du recul sur cette situation pour vos prochains vols. Lorsqu’un avion avance dans l’air, l’air s’écoule sur ses ailes et cet écoulement rapide sur le dessus de l’aile crée la portance qui aspire l’aile vers le haut. Ce principe universel est valable pour tout ce qui vole, de l’oiseau jusqu’à l’Airbus A380. Mais si l’angle d’arrivée de l’air est trop élevé, ce qui peut être la conséquence d’un avion qui aurait trop ralenti alors que le pilote maintient le nez de l’avion vers le haut comme s’il se mettait en montée, alors l’écoulement de l’air sur le dessus de l’aile n’est plus assuré et la portance diminue progressivement.* Dans ce cas, soit l’avion réalise une abatée et se met naturellement en descente pour reprendre de la vitesse, soit le pilote maintient le nez de l’avion en montée tout en continuant à ralentir.

Le décrochage, quel que soit son type, est la seule situation dans laquelle un avion arrête de voler, mais il ne tombe pas comme une pierre contrairement à ce que son nom pourrait faire croire et à ce que l’on vous présente dans les films catastrophes, bien au contraire ! Il n’y a que deux cas de décrochage pour un avion de ligne en vol de croisière : le Rio Paris en juin 2009 et le West Caribbean en août 2005, et dans ces deux cas la descente a été tellement progressive et douce qu’elle n’a pas été directement ressentie par les pilotes (ni par les passagers)…

Pour éviter le décrochage d’un avion de ligne, les constructeurs ont donc fait le nécessaire. Par exemple, si un pilote maintient les moteurs au minimum trop longtemps et qu’il ralentit trop, l’avion va redonner de la puissance tout seul, même si la manette des gaz reste au minimum (fonction TOGA Lock sur Airbus). Avec le temps, le décrochage étant devenu impossible selon les constructeurs, les pilotes de ligne n’ont plus directement été formés à cette situation bien que le cas soit toujours abordé pendant leur formation de base à travers des exercices de décrochage sur avion léger.

Tous les pilotes savent néanmoins détecter les signes du décrochage, ce qui n’arrive en vol classique que s’ils volent à vitesse très réduite (bien en dessous de la vitesse d’atterrissage), avec le nez de l’appareil à cabrer (en montée). Outre les alarmes de l’avion, il y a un phénomène de fortes vibrations sur les ailes appelé buffeting. Face à cette situation, les procédures à entreprendre sont simples : reprendre de la vitesse. Il suffit pour cela de se mettre en descente et de redonner de la puissance moteur progressivement.

Puis arrive le cas du Rio-Paris. Dans cet accident, les capteurs de vitesse ont gelé et ont donné aux pilotes des informations incohérentes, notamment une perte d’altitude tout en inhibant les protections anti-décrochage de l’avion…. Les pilotes affichent alors une puissance moteur plus forte tout en levant le nez de l’avion (ce qu’on appelle une assiette « à cabrer »), une procédure réglementaire en cas de vitesse douteuse en dessous de 10.000 pieds. Le rapport du BEA indique également page 183 que « l’ECAM (l’écran qui affiche les pannes et les actions à réaliser pour les traiter) […] peut laisser supposer aux équipages que le risque principal est la survitesse » et « La barre de tendance (indicateur qui donne l’évolution à venir de vitesse de l’avion) indiquait alors un ordre à cabrer »… Les pilotes cherchent donc à ralentir pour éviter la survitesse, ce qui consiste en une nouvelle augmentation de l’assiette et une réduction de la puissance des moteurs. Une fois dans cette situation, la vitesse de l’avion a progressivement diminué à mesure que l’avion prenait de l’altitude (pensez à ce qui se passe lorsque vous montez une pente en voiture : vous perdez de la vitesse), alors que l’incidence de l’avion augmentait pour maintenir la portance. Vitesse faible, incidence élevée, tous les éléments sont présents pour que l’avion entre en décrochage, et personne n’a ressenti la descente, d’autant que les pilotes étaient sûrs d’une chose malgré les alarmes : l’avion ne peut pas décrocher. Vous connaissez la suite, une descente que personne ne perçoit pendant plus de trois minutes, avec une  vitesse verticale de plus de 220 km/h au moment de toucher l’eau…

Suite à cet accident, tous les pilotes du monde ont du repasser au simulateur pour travailler le décrochage, se familiariser à nouveau au phénomène pour le détecter et en sortir, et apprendre à appliquer les procédures adaptées : afficher une assiette et un régime précis leur permettant de voler en ligne droite sans aucun risque comme lorsque la vitesse affichée est incomprise ou incohérente. Les constructeurs ont par ailleurs retravaillé les systèmes permettant de définir l’évolution de l’avion (altitude, vitesse…), et ont mis en place des procédures permettant aux pilotes de déconnecter des capteurs leur donnant des informations erronées. Pour Airbus, Il est par exemple aujourd’hui possible de couper les calculateurs qui donnent la vitesse de l’avion à partir des capteurs habituels (les ADR, pour Air Data Reference) et d’activer un calculateur qui donne la vitesse à partir des données issues des sondes d’incidence (le système BUSS pour Back Up Speed Scale). Dans ce cas, même si tous les capteurs sont hors de fonctionnement, le pilote peut reprendre la main sur l’avion. A l’inverse, la déconnexion des protections anti-décrochage sont possibles si celles-ci se déclenchent de manière inopportune, et cela a permis d’éviter un accident le 18 novembre 2012, lorsque les pilotes d’un avion Eva Air qui avait vu ses sondes d’incidence rester bloquées.

Un Airbus A380-861 d'Air France - Tous les Airbus A380 sont équipés du système BUSS, un équipement qui n'était pas fourni de série sur les avions des générations précédentes.

Un Airbus A380-861 d’Air France – Tous les Airbus A380 sont équipés du système BUSS, un équipement qui n’était pas fourni de série sur les avions des générations précédentes.

Non seulement une panne du type Rio-Paris n’est plus possible, mais toutes les pannes venant de tous les capteurs peuvent être évitées, l’information de vitesse sera toujours correcte et donc le décrochage évité.

La piqure de rappel mondial qu’a constitué le Rio-Paris, les évolutions techniques qui l’ont suivi, la mise en place de ces nouvelles procédures et l’entrainement adapté de tous les pilotes face au décrochage ont réduit cette éventualité au minimum imaginable. Les pilotes et leurs avions sont donc aujourd’hui capable de répondre à toute panne et à toute situation pouvant mener à cette situation. Ne prenez pas les discours alarmistes pour des réalités, si le décrochage était un risque fréquent il y en aurait tous les ans et c’est bien heureusement loin d’être le cas. Encore une fois, si vous voulez vraiment être en sécurité, ne restez surtout pas chez vous et prenez l’avion : les incendies provoquent environ 1000 morts chaque année rien qu’en France, bien plus que le transport aérien qui déplace pourtant plus de 3 milliards de personnes chaque année…

* D’autres types de décrochages sont possibles, comme le décrochage dynamique. Dans ce cas, l’avion subit des accélérations fortes (facteur de charge supérieur à 1) et le décrochage est possible à vitesse plus élevée. De même, un avion peut éviter le décrochage même à vitesse très faible, par exemple lors d’une trajectoire parabolique, une figure répétée des milliers de fois par l’A300 Zéro G du CNES pour reproduire le phénomène de microgravité. De même, le « deep stall » existe mais n’est possible que pour les avions dont l’empannage est « en T ». Pour plus de simplicité nous exclurons donc ces cas ainsi que les figures de voltiges déclenchées volontairement.

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